Un lieu, deux librairies ». Ainsi se présentent sur leur carte de visite commune Bulles de papier et La Baignoire d'Archimède, qui ont fait le pari de s'installer, en 2015, sous le même toit dans l'une des rues les plus commerçantes de Brive-la-Gaillarde, en Corrèze. La première, spécialisée en BD, occupe 110 m2 au rez-de-chaussée. La seconde, généraliste, a pris ses quartiers au premier étage sur 100 m2. Partageant l'entrée et la vitrine du magasin, qui offre deux pans égaux de chaque côté de la porte, les deux points de vente n'en gardent pas moins chacun leur identité. « C'est une configuration atypique que beaucoup ont même jugée incongrue au début, se souvient Elodie Martin, cofondatrice de La Baignoire d'Archimède avec Laurence Guillemot, son ex-collègue chez Les Trois Epis. On n'a pas l'habitude de voir une librairie généraliste s'installer en étage. Pourtant, cela fonctionne. »
Né d'un concours de circonstances, le projet a été mûrement réfléchi. Créée en 2005 par Emmanuel Dève, Bulles de papier voulait quitter ses 65 m2 et s'agrandir, tandis que La Baignoire d'Archimède cherchait un local où s'installer. « Nous nous connaissions, nous étions confrontés aux mêmes problématiques immobilières et nous savions que nous partagions les mêmes conceptions du métier et surtout les mêmes valeurs, observe Laurence Guillemot. D'où l'idée de nous installer ensemble en gardant des espaces bien distincts. »
Visibilité
Fort de ce postulat, Emmanuel Dève, qui souhaitait être propriétaire de son local, a racheté les murs du 21, rue du Lieutenant-Colonel-Farro via une SCI qui loue le local aux deux librairies. « Avec une décote de 30 % pour La Baignoire, qui est à l'étage », précise le libraire propriétaire. Il est conscient des inconvénients pour cette dernière, à commencer par sa dépendance aux horaires d'ouverture de sa voisine du dessous. Peu problématique dans la journée, cette situation l'est davantage le soir pour les animations. « Ces jours-là, explique Elodie Martin, Emmanuel part et ferme la porte d'entrée quand notre public est arrivé. Charge à nous de redescendre ouvrir quand les gens veulent partir. »
L'autre point négatif concerne la visibilité de La Baignoire. « Elle n'est pas idéale, concède la libraire, mais nous avons un local très lumineux, un propriétaire qui connaît bien les problématiques économiques du métier et qui nous a permis de bénéficier dès notre ouverture du flux de clientèle de sa librairie qui était connue à Brive. » En ouvrant un an après la fermeture des Trois Epis en 2014, La Baignoire d'Archimède était aussi attendue car elle venait combler un vide dans une ville de 50 000 habitants qui n'avait plus de librairie généraliste.
Conscientes que certains habitants découvrent, aujourd'hui encore, leur point de vente à l'étage, les libraires de La Baignoire estiment néanmoins que « la situation compte bien plus de points positifs que négatifs ». Pour Emmanuel Dève, « l'objectif du rapprochement était de constituer une offre référente dans la ville ». Ce projet fait d'autant plus sens que, six mois après l'ouverture des deux librairies, un magasin Cultura de 1 000 m2 s'implantait en centre-ville.
Attentives à préserver leur personnalité, les deux librairies ont été aménagées par le même architecte, mais chacune suivant ses propres critères « qui, in fine, se sont révélés assez proches, avec une forte présence de bois, un mobilier sobre et fonctionnel et un aménagement misant sur la convivialité », constate Emmanuel Dève.
Complémentarité
Aujourd'hui, la formule présente l'intérêt pour les deux librairies de faire jouer la complémentarité de leurs offres en se renvoyant des clients et en développant des passerelles entre BD et jeunesse, mais aussi BD et littérature, lorsqu'une œuvre littéraire est adaptée en album. Toutefois, reconnaît Elodie Martin, « nous le faisons peu car nous manquons de temps pour développer une vraie politique de synergies et des animations communes. » Il n'empêche, observe Laurence Guillemot, que « c'est très stimulant de partager ainsi des locaux. C'est porteur d'énergie et de dynamisme. » Favorisant les discussions professionnelles, les échanges d'astuces, cette proximité physique permet aussi de démultiplier les forces vives en cas de besoin. « On a pris le même transporteur, note Elodie Martin. Du coup, quand il y a un problème de livraisons, l'un de nous seulement s'en occupe pour les deux structures. » Les intéressés jouent aussi la mutualisation au niveau financier sur le partage de certaines charges courantes mais aussi exceptionnelles comme des campagnes de communication. Adhérente à Canal BD, Bulles de papier fait également profiter La Baignoire d'Archimède de son écran d'informations situé à l'entrée de l'escalier. « Cet écran relaye des informations sur notre secteur et nous permet de communiquer sur l'actualité du magasin et sur les animations... mais nous y accueillons aussi celles de La Baignoire », explique Emmanuel Dève.
Travaillant en bonne intelligence, les deux librairies reprennent aujourd'hui leur croissance, entravée par l'arrivée de Cultura en 2016. Et les deux cogérantes de La Baignoire réfléchissent déjà à un agrandissement. « Comme nous sommes bien dans notre local et que nous ne voulons pas le quitter, observe Laurence Guillemot, nous aimerions ouvrir une annexe où nous réaliserions nos animations le soir et où nous proposerions des produits autres que le livre avec des marges supérieures, comme la papeterie et les loisirs créatifs. » W