Pour désigner l’épicerie de quartier, le japonais utilise le terme anglais de convenience store. Translittéré en langue nippone, ça donne konbiniensu sutoa, abrégé en konbini. Konbini, c’est le titre du roman de Sayaka Murata, qui valut à l’écrivaine en 2016 le prestigieux prix Akutagawa, l’équivalent du Goncourt au pays du Soleil-Levant. C’est également l’unité de lieu de cette courte fiction qui raconte comment une jeune fille décalée tente de s’adapter au monde en se faisant employer dans une supérette. Depuis l’enfance, Keiko Furukura est considérée comme un être à part voire bizarre. Déjà, à la maternelle, elle choque l’entourage adulte : lorsqu’elle découvre un moineau mort, au lieu de s’en émouvoir et de vouloir l’enterrer, elle déclare qu’on pourrait le cuire et le manger. A quoi bon enterrer les morts puisqu’ils sont morts ?
A 18 ans, alors qu’elle est encore étudiante, elle trouve un petit boulot dans un konbini, le SmileMart qui s’est ouvert près de la gare de Hiirochô. Dix-huit ans plus tard, elle est toujours là. Le job d’étudiant est devenu son métier. Son métier de vivre. Dans le magasin 24 heures sur 24, elle apprend en tant que vendeuse-caissière à sourire à la clientèle et à la conseiller. Quand elle lance gaiement son premier "Bienvenue chez SmileMart !", elle se sent exister : "En cet instant, pour la première fois, il me sembla avoir trouvé ma place dans la mécanique du monde. Enfin je suis née, songeai-je. C’était, à n’en pas douter, le premier jour de ma vie en tant que membre normal de la société." Si elle emprunte les intonations de telle ou telle collègue, copie son style vestimentaire, plagie ses goûts en matière cosmétique, elle ignore tout de la duplicité du langage et de l’hypocrisie des codes sociaux. A la question de savoir si elle est déjà sortie avec quelqu’un, elle avoue de but en blanc : non. Quand arrive un nouvel employé, Shiraha, un solitaire de 35 ans sans domicile fixe, elle l’accueille chez elle. Le début d’une normalité affichée ? Ou de difficultés relationnelles à venir ?
Sakaya Murata, qui comme son héroïne a préféré continuer à travailler dans une supérette, dépeint la difficulté d’être différent dans une société ultra-policée qui condamne à l’ostracisme social le moindre écart vis-à-vis de la norme. Konbini a fait un tabac au Japon, où les lecteurs ont sans doute été touchés par la justesse de cette satire douce-amère.
S. J. R.