31 OCTOBRE - RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE France

Nan Aurousseau- Photo FRANSCESCA MONTOVANI/

C'est le livre autour duquel Nan Aurousseau tourne depuis ses débuts en littérature, en 2005, avec le très remarqué Bleu de chauffe (Stock). Un livre étiqueté "roman", certes, comme les trois qu'il a publiés ensuite, mais si personnels et nourris de la vie, des expériences, pas toujours faciles, de leur auteur. Cette fois, aucune ambiguïté, Quartier charogne se veut le récit de son enfance, de 1957 à 1966. Neuf années décisives qui vont voir le jeune Nan, six ans au début du livre, décrit comme «un petit garçon simple, actif et démerdard, plutôt bon bricoleur", se métamorphoser en un ado rebelle et bagarreur, puis en petit voyou, et enfin en gangster qui finira en prison.

Il faut dire, messieurs les jurés, qu'il a quelques excuses. Nan est né dans une famille modeste, nombreuse - six frères et soeurs dont il est l'aîné. C'est lui qui, le premier, en a vécu le naufrage et ressenti dans sa chair les torgnoles que Lulu, le père, mettait à la mère, Suzon, toutes les nuits où il rentrait ivre après son travail. Lui aussi a quelques circonstances atténuantes. C'était à l'origine un brave gars, un excellent mécanicien, que la guerre a brisé : le STO, les camps, la violence... Il ne s'en est jamais remis.

Au début, ça allait, lorsque la famille habitait en province, au gré de ses affectations professionnelles. Mais en 1957, les Aurousseau emménagent 83, rue des Maraîchers, dans le 20e arrondissement. Ce qu'on appelait alors "la zone", tout près des anciennes "fortifs" et des puces de Montreuil. Un Paris populaire qui n'avait pas tellement changé depuis le Hugo des Misérables, ou Jules Vallès. Où les dernières fermes et marchés voisinaient avec les bistrots, repaires des filles de mauvaise vie, des voyous et des souteneurs. Et aussi des poivrots comme Lulu, "[son] vieux".

Chez eux, "c'était pas la misère", comme dit Daniel Guichard. Ils avaient même un cabanon à la campagne, près de Meaux, pour les dimanches et les vacances. Suzon tenait sa maison en ordre et sa nichée bien propre. Nan allait à l'école, et il aimait plutôt ça. La lecture, surtout. Mais les tentations étaient trop fortes, les copains trop nombreux et pas toujours très recommandables. Tout a basculé. Le narrateur du début, brave gosse qui achète Kiwi pour les aventures de Blek le roc, ou Pif Gadget, >se retrouve à 15 ans, suite à ses premiers braquages, au quartier des mineurs de Fresnes. Lulu, lui, s'est installé au cabanon, laissant Suzon seule face à des fins de mois de plus en plus difficiles. La famille finira expulsée, un petit matin, jetée à la rue. On comprend la rage du fils aîné, attisée par les "événements" d'Algérie : le 8 février 1962, à quelques stations de chez eux, avait eu lieu le massacre du "Métro Charogne".

Ecrit dans un style volontiers parlé, mais jamais artificiel, Quartier charogne est un livre divers et touchant. A la fois évocation nostalgique d'un monde disparu, le Paris prolo des années 1950, et récit d'une dérive personnelle. Comment la mauvaise graine arrosée au sirop des rues devient chiendent, chien fou. Et enfin écrivain. C'est là l'essentiel.

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