Vingt-cinq ans se sont écoulés quand, au début de ce beau et tragique premier roman, le narrateur se souvient des dernières saisons de sa jeunesse avec Lily, jusqu’à ce printemps 1989 où elle l’a abandonné. Ce jour d’avril où il a vu sa compagne pour la dernière fois avant que, enceinte de leur troisième fils, elle ne quitte définitivement leur foyer pour ne plus jamais revenir.
En ce temps-là, le couple - deux enfants du pays ensemble depuis longtemps et déjà parents de deux garçons de 3 ans et 3 mois - loue "la Maison du Juge" aux Plastres, un hameau d’altitude savoyard. Il a 29 ans, est élagueur et vient d’être embauché dans une entreprise familiale, employé par un patron à dreadlocks qui, comme lui, affiche une attitude respectueuse face aux arbres. Instable et sans assurance, Lily parvient difficilement à faire face au quotidien sans ses cachets de Nembutal et fait de longues promenades seule dans la montagne. Lui veille sur elle comme sur un trésor. A l’affût. Surtout après un accident de voiture qu’il interprète a posteriori comme la première pierre noire jetée dans le jardin de leur bonheur familial. Plus de peur que de mal, la vie reprend avec les enfants, aux côtés d’une Lily toujours plus transparente et perdue.
D’un bout à l’autre de sa chronique rétrospective, l’amoureux laissé sur le carreau ne juge pas, n’accable pas celle qui est toujours "[sa] Lily", "[sa] belle", "[sa] reine", et ne donne à voir aucune colère, aucune rancune. Tout au plus, se souvient-il d’avoir éprouvé, quand les signes alarmants commençaient à s’accumuler, "une tristesse froide". La narration épouse ce rythme lent du chagrin engourdi par le temps. Et Aller en paix, titre en forme d’exhortation et de prière, sonde patiemment le fond de cet amour, entre impuissance et inaltérable loyauté. V. R.