Décryptage 

Médiathèque à l'église, une idée de (re)conversion

L'église de Saint-Denys-du-Plateau (Québec) a fermé ses portes en 2009. La Ville l'a rachetée, retiré la croix du clocher, et restructurée pour en faire la Bibliothèque Monique-Corriveau. - Photo Ville de Québec

Médiathèque à l'église, une idée de (re)conversion

Face au manque de paroissiens, communes et diocèses se posent la question d'une autre utilisation des bâtiments religieux. Les médiathèques, dont les fonctions sont en continuité avec ces institutions patrimoniales, sont une option sérieuse, déjà expérimentée à l'étranger.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 25.04.2023 à 12h44 ,
Mis à jour le 25.04.2023 à 15h51

En France, 500 édifices religieux sont aujourd'hui fermés, et 2 500 à 5 000 menacés d'être abandonnés, vendus ou détruits d'ici 2030, d'après l'Observatoire du patrimoine religieux. Un rapport sénatorial publié en juillet 2022 cible les raisons : sécularisation de la société française (conjuguée à la désertification de certaines zones géographiques) et contraintes budgétaires des communes. Héritage de la Révolution française de 1789, celles-ci sont propriétaires de l'essentiel des édifices du culte catholique. Le cas de celles qui appartiennent directement à des paroisses en perte de vitesse, se révèle plus problématique. Certaines n'ont d'autre choix que de les vendre et de les laïciser, sur le modèle de ce qui se pratique déjà dans d'autres pays. À Dublin, une église du XVIIe siècle a ainsi été convertie en bar restaurant sous le nom de The Church. Avec même une boîte de nuit, The Cellar, aménagée dans la crypte au sous-sol.

À Québec, l'église Saint-Jean-Baptiste est fermée depuis 2015, en attente d'une aide financière pour réaliser d'urgents travaux. « Quand il y a moins de fréquentation, on met moins de chauffage, donc il y a plus d'humidité, et le bâtiment se détériore. Mais il faut éviter la démolition, car les églises sont un beau patrimoine à faire découvrir. Ce ne serait pas écologique de reconstruire quelque chose de neuf », résume Chantale Émond, directrice du service culturel de la Ville de Québec. L'église de Saint-Esprit a profité de sa hauteur sous plafond pour devenir une école de cirque. À Rennes (Ille-et-Vilaine), l'église Saint-Étienne s'est transformée en Théâtre du Vieux Saint-Étienne. Celle de Saint-Martin, à Beaupréau-en-Mauges (Maine-et-Loire), pourrait accueillir une médiathèque. « Cela nous semble intéressant que ce bâtiment public revienne au service du public », se projette le maire Franck Aubin. À l'heure où nous écrivons ces lignes, le projet est toujours en cours de discussion avec l'Église. Transmuter un lieu de culte en temple du savoir n'est pas une hérésie.

En devenant médiathèque, une église renoue avec sa vocation de troisième lieu, de lieu de vie. C'est particulièrement le cas à la bibliothèque de la Maison de la littérature de Québec, aménagée dans la nef d'une église et reliée au bistrot en sous-sol selon les vœux de la Ville et de l'Institut canadien de Québec qui ont fait transformer l'endroit en 2015. « Depuis le début, tout le monde a accepté que ce ne soit pas un endroit calme et silencieux », sourit l'architecte Sergio Morales. Contrainte des hauts plafonds : la chaleur monte. Mais un système de ventilation la récupère et la redistribue vers le sol. « La hauteur de plafond et les jeux de lumière dingues des vitraux créent une ambiance particulière », s'émerveille Marie-Andrée Malleville, élue à la culture de Rouen, en parlant de la Bibliothèque des Capucins logée dans une ancienne chapelle. Ses recoins offrent d'intimistes alcôves. « On joue avec cette architecture magnifique et on la scénographie pour les manifestations culturelles. » La bibliothèque municipale Paul-Bienvenu a elle investi dans du mobilier moderne. Elle est située depuis 2017 dans une ancienne église de la commune de moins de 7 000 habitants de Behren-lès-Forbach (Moselle). Il lui en reste deux autres.

Église Saint-Martin, à Beaupréau-en-Mauges (Maine-et-Loire), en projet : la solution la plus viable

Pour les élus municipaux de l'opposition, c'est un projet « incohérent, démesuré ». Pour la majorité, il découle logiquement de deux constats : la commune de Beaupréau-en-Mauges cherche à redimensionner sa médiathèque pour 24 000 habitants, et doit gérer deux églises en perte de fréquentation (suite à un regroupement communal). L'une, celle de Saint-Martin, demande 800 000 € de travaux. Construire une nouvelle médiathèque coûterait des millions. Alors plutôt que de payer deux gros chantiers, pourquoi ne pas construire une médiathèque dans l'église à rénover pour un total de 4 millions d'euros ?

L'avis du diocèse du Maine-et-Loire ? Il n'a pas souhaité s'exprimer publiquement avant la présentation finale du projet. Il est à la recherche d'un compromis avec le maire, Franck Aubin, qui comprend la réserve de l'institution. « Elle peut redouter que notre projet fasse un appel d'air, que d'autres communes suivent notre exemple. Les églises sont les lieux qui garantissent le rassemblement des chrétiens », relaie l'édile, qui doit avoir l'accord de l'évêque, confirmé par le préfet. Les habitants ont eux été consultés et accompagnés par un sociologue. « Les plus récalcitrants finissent par se ranger. Ils préfèrent que l'église devienne une médiathèque plutôt qu'elle s'effondre. C'est la solution la plus viable pour sauvegarder notre patrimoine. »

Bibliothèque De Petrus, à Vught (Pays-Bas) : sauvée par les citoyens

En 2005, dans la ville néerlandaise de Vught, l'église néoromane bâtie en 1884 ferme ses portes. Faute d'entretien, on se rend compte lors d'un enterrement que de la pierre tombe du plafond. Craignant la mort même de leur église (faute d'argent pour la restaurer totalement), un petit groupe de citoyens monte une fondation pour la sauver. L'évêque préfère qu'elle soit démolie, plutôt que d'être transformée en centre de conférences ou salle des fêtes, ce qu'il aurait vécu comme une trahison. Mais une bibliothèque et un espace culturel, pourquoi pas ? Il accepte de céder le bail à sept entrepreneurs, qui reçoivent des subventions.

Les architectes créent une salle d'exposition, un restaurant, ajoutent une mezzanine de 500 m2 pour accueillir des espaces de travail et de rencontres. Sans oublier la bibliothèque.

L'ancienne église Saint-Pierre accueille aujourd'hui 180 000 visiteurs chaque année. Et le nombre d'inscrits à la bibliothèque a doublé.

Maison de la littérature, Québec (Canada) : désacraliser le lieu

Une médiathèque dans une église, alors même que l'Église a un temps censuré des auteurs dans sa fameuse mise à l'Index ? « Quand on a été approchés pour faire une maison de la littérature dans un ancien temple, on s'est posé ce paradoxe-là, dans un contexte de rejet par la population de la religion depuis les années 1960. Et en même temps, c'était un bâtiment magnifique, qui avait besoin d'être réhabilité », présente l'architecte Sergio Morales. Solution trouvée par son agence cofondée avec Stephan Chevalier : donner à l'ensemble un visage contemporain, désacralisé, en reliant l'église à un bâtiment tout en transparence. Les visiteurs n'ont pas à gravir les hautes marches et à pousser la lourde et intimidante porte de l'ancienne église : l'entrée est déplacée vers l'annexe moderne (qui accueille un studio de création, des cabinets d'écriture, un écrivain en résidence...). Les visiteurs arrivent ensuite dans la bibliothèque par le centre de la nef, où une trouée fait voir le bistrot et salle de conférences au sous-sol. Audacieux.

Bibliothèque Rina-Lasnier, à Joliette (Canada) : rendre le lieu à la communauté

Faute de paroissiens, l'église de Joliette, au Québec, était à vendre. La Ville et sa voisine se sont alors entendues pour un faire une bibliothèque commune, après 6,3 millions de dollars canadiens (presque 4,4 millions d'euros) de travaux, cofinancés notamment par le ministère de la Culture, des Communications et de la condition féminine (sic) du Québec et le géant de la cigarette Imperial Tobacco. « L'espace est ouvert, le toit est élevé, donc cela permet de voir l'ensemble des rayons en un coup d'œil. C'est majestueux », décrit la directrice Nathalie Ducharme. Voire intimidant ? « On contrebalance l'impression d'austérité par une décoration ludique. Des enfants ont réalisé des origamis d'oiseaux ; on dit aux gens : venez, occupez les lieux, vivez ! » Quid des citoyens qui regrettent leur ancienne église ? « Après coup, on se dit que c'est la meilleure vocation que d'être converti en bibliothèque. C'est rendre service à la communauté, de la part d'un lieu qui avait été bâti pour la communauté. »

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