1er septembre > Roman France

Avec Autour du monde, Laurent Mauvignier avait signé une circumnavigation fictionnelle, sautant d’un méridien à un autre, passant d’une existence à une autre avec pour fil rouge le tsunami de Fukushima. Les premières pages de Continuer nous projettent à nouveau hors de nos climats, au Kirghizistan : une mère et un fils adolescent parmi leurs tentes et leurs chevaux se font aborder par des types agressifs. Ils demandent à la femme (qui parle russe, la Française descendant d’une famille qui a fui l’Union soviétique) ce qu’elle fiche là, "seule" dans la nature. Les vacances équestres, on le sent, vont virer à la tragédie. Mais sauvés ! Une voiture qui passait par là met en fuite les brigands ; Djamila et Bektash, un jeune couple kirghize, invitent Sibylle et Samuel chez eux.

Ce faux départ romanesque n’évite pas pour autant le drame, et c’est tout l’art de Laurent Mauvignier que de nous faire tourner les pages - il signe ici un véritable page-turner - en ne nous plongeant pas tant dans l’extraordinaire de l’aventure que dans l’ordinaire de la vie. Continuer est un roman sur les rapports mère-fils - aussi bien l’amour que l’incommunicabilité, l’auteur qui a terminé le livre "dix jours avant la mort de Bowie" y parle de cette jeunesse d’aujourd’hui un peu perdue, se raccrochant à la noirceur radicale faute d’idéal. La chevauchée au Kirghizistan a été une idée de Sibylle, il fallait sauver Samuel, le reprendre en mains, lui enseigner des "valeurs" (de gauche), lui faire partager le goût des grands espaces et des bonheurs simples, des chevaux. Samuel, boule à zéro, perpétuel casque audio sur les oreilles, est le typique adolescent revêche - il s’est retrouvé une nuit au poste à cause d’une soirée qui a mal tourné. Samuel avait été le témoin d’une agression sexuelle de deux de ses copains, le témoin qui n’a pas bougé. Sibylle a dû appeler le père de Samuel. Elle s’était pourtant juré de ne plus le revoir, maintenant qu’elle avait obtenu le divorce et avait définitivement quitté Paris pour Bordeaux.

Les voilà réunis tous ensemble pour régler l’avenir de leur fils. Le dîner de famille, l’enfer. Le père, la mère, le tiers - l’enfant, enjeu du couple qui se déchire, arme et bouclier d’une bataille où l’on joue les prolongations : "Il se sentait condamné et pris au piège, assigné à résidence : entre eux." Le plan du grand voyage, saugrenu selon l’ex-mari qui taxe Sibylle de démagogie, est acté, Samuel n’a pas son mot à dire, c’est ça ou pire, la pension chez les curés (l’alternative paternelle).

On retournera en Asie centrale mais, avec une souplesse d’écriture sans pareille, on replonge également dans le passé de Sibylle, ses jeunes années, ses rêves brisés, on la suit jusqu’au déroutant dénouement. En génial capteur d’âme, Mauvignier rend leur complexité à des êtres à la banalité apparente, transforme la poussière du monde en or, en trésor d’humanité. Sean J. Rose

10.06 2016

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