Avant-critique Poésie

Mohamed Iqbal, "Le livre de l'éternité" (Libretto)

Statue, au musée Madame Tussauds d'Istanbul, de Djalâl al-Dîn Rûmî, mystique musulman du XIIIe siècle dont l'esprit accompagne le poète du Livre de l'éternité de Mohamed Iqbal. - Photo OZAN KOSE/AFP

Mohamed Iqbal, "Le livre de l'éternité" (Libretto)

Poète national du Pakistan et philosophe soufi, Mohamed Iqbal est à nouveau disponible en français, avec une préface inédite du philosophe Abdennour Bidar.

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Par Sean Rose
Créé le 11.11.2023 à 11h00

Les versets édéniques. Si l'universalisme a été théorisé par les Lumières en Europe, son exportation vers le reste du monde au nom de la mission civilisatrice n'a pas été universellement bien accueillie par les autres populations du globe. Le contact entre les civilisations, par le commerce ou l'affrontement, a néanmoins permis un décentrage de chacune d'elles. N'en déplaise aux champions d'une déconstruction radicale, des échanges fructueux ont eu lieu, même sous le joug colonial : des métissages entre peuples et des hybridations culturelles se sont produits.

Parmi ces exemples de rencontres heureuses entre différents systèmes de pensée, on compte Mohamed Iqbal (1877-1938). Figure spirituelle de l'islam et poète national du futur Pakistan (dont il a imaginé la création), cet Indien de confession musulmane, d'inspiration soufie, est né au Pendjab au temps de la colonisation britannique. Après l'école coranique, il s'inscrit au barreau de Londres puis étudie la philosophie en Allemagne. Il deviendra juriste et aussi un grand poète persan (la langue de l'élite de sa région natale) et le champion d'un islam libéral ouvert à la modernité. Iqbal lit Nietzsche et c'est le choc. La réflexion et la foi du penseur musulman se trouvent ébranlées par l'auteur d'Ainsi parlait Zarathoustra. Nourri de soufisme (un islam mystique et intérieur) comme de la tradition brahmanique héritée de son père d'ascendance hindoue, Mohamed Iqbal va forger une pensée syncrétique originale, un islam au-delà de l'islam, et défendre une transcendance transgressive, où Dieu déborde la littéralité des textes sacrés dont la lecture s'est, selon lui, sclérosée dans le dogme et la pesanteur de la glose. Il n'est point d'impie qu'il faille condamner si tant qu'il ait « le cœur éveillé », et Dieu, dût-il nous sembler invisible, est partout. « L'Essence divine ne peut être voilée par ce monde : une image sur l'eau ne fait pas obstacle à la plongée. »

Reparaît en « Libretto », chez Phébus, Le livre de l'éternité dans sa première édition française (Albin Michel, 1934), avec une préface inédite d'Abdennour Bidar, grand spécialiste d'Iqbal. Ce long poème, sorte de Divine comédie de l'Islam, narre un périple céleste. Accompagné par l'esprit du poète soufi Rûmî, tel Dante guidé par Virgile, Iqbal chante la voie du retour à l'éternité. Être ne signifie rien d'autre que de « participer à la beauté de l'Essence divine », et créer équivaut à « rechercher l'Aimé, [...] s'ouvrir soi-même à l'autre ». Cela passe par l'imitation du Créateur dans la grâce de son geste : « La vie est éphémère aussi bien qu'éternelle, elle n'est que créativité et brûlant désir ! Es-tu vivant ? Alors sois brûlant de ferveur, sois créateur, embrasse comme nous tous les horizons de l'univers. »

Mohamed Iqbal
Le livre de l'éternité
Libretto
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 9,70 € ; 208 p.
ISBN: 9782369148623

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