A posteriori, on peut y voir comme une prédestination. Lui dirait une malédiction. Christophe Bigot est né le 6 juin 1976, à quelques semaines de l’exécution, à la prison des Baumettes, de Christian Ranucci, lequel était peut-être innocent. L’affaire, en tout cas, provoqua un électrochoc dans la société, et fournira, quelques années plus tard, un argument de poids à Robert Badinter dans son combat pour l’abolition de la peine de mort en France.
Le jeune Christophe, lui, petit dernier d’une famille de profs de banlieue, musiciens, de droite et athées, chétif, fragile, angoissé, qui découvrira tôt son homosexualité (coïncidence : son frère aîné de deux ans, musicien, est gay également), a traîné durant vingt ans une véritable phobie : celle de mourir guillotiné, comme dans ses pires cauchemars. Le problème, c’est que tout l’y ramenait, depuis Le chevalier de Maison-Rouge de Claude Barma d’après Dumas, qui fit les beaux jours de la télé dès 1963, jusqu’à ses cours d’histoire, à l’école, puis au lycée. Et le paradoxe, c’est que la Révolution française, avec son cortège d’horreurs (entre autres les exécutions de la Du Barry, de la princesse de Lamballe, de l’infirme Couthon, ou l’assassinat de Marat par Charlotte Corday), le fascinait, au point de susciter chez lui ses premières créations plus ou moins avortées : BD, pièces de théâtre, dessins, jeux sadiques imposés à sa cousine, et même un Club Révolution, avec quelques autres mordus. Le héros d’élection de Bigot, c’est le beau Camille Desmoulins. Son père lui avouera d’ailleurs que c’est ainsi qu’il a failli s’appeler ! Bien plus tard, en 2008, il lui consacrera son premier roman, L’archange et le procureur (Gallimard). Une première boucle était bouclée.
Mais il est presque impossible de synthétiser ce livre si riche, si touffu, où les histoires, la petite et la grande, s’entremêlent, jusqu’aux attentats du 13 novembre 2015, suivis de peu par la mort de sa mère, ce qui en a déclenché l’écriture. Pendant quarante ans, Christophe Bigot a vécu hanté par l’idée de la mort violente, sanglante. Il est allé "au contact", au musée Grévin, à la Conciergerie, au musée Carnavalet. Il en a nourri une aversion pour le régicide, la peine de mort, la barbarie contemporaine. Devenu à son tour professeur, et apparemment heureux et apaisé, il raconte et se raconte maintenant en 151 courts chapitres, comme des fragments, avec sincérité, pudeur et humour, dans un style élégant. Un modèle d’autobiographie. J.-C. P