Avant-critique Science-fiction

Ned Beauman, "Poisson poison" (Albin Michel)

Ned Beauman - Photo © Benjamin McMahon

Ned Beauman, "Poisson poison" (Albin Michel)

Dans un futur proche, nos sociétés ont renoncé à protéger la nature, et les espèces en danger entreprennent de se défendre contre la menace humaine. Un roman de Ned Beauman inquiétant par son acuité.

Parution 16 janvier

J’achète l’article 1.5 €

Par Cédric Fabre
Créé le 21.01.2025 à 09h00

La vengeance du poisson. Karin Resaint est une jeune chercheuse spécialiste de l'intelligence animale, dans une société futuriste où l'on a rationalisé la disparition programmée des espèces. Poussant à l'extrême et de façon géniale le principe de la compensation carbone − où il suffit d'acheter un droit de polluer −, Ned Beauman décrit une mégasociété globalisée au sein de laquelle les grosses firmes négocient des « crédits d'extinction ». Ainsi, une compagnie minière qui va forer en haute mer au risque de faire disparaître une espèce peut simplement payer pour poursuivre son activité. Il suffit au préalable que la séquence ADN de l'espèce en voie de disparition ait été scannée et préservée dans une « biobanque ». Toute une armée de traders est à l'affût des bonnes affaires, comme Mark Halyard, un Australien opportuniste qui va suivre Karin dans ses pérégrinations. Celle-ci ne s'est jamais remise de la mort du dernier panda de la planète (même si certains espèrent qu'il sera un jour possible de le cloner à partir des données numériques qu'on a conservées). Et elle n'a qu'une obsession : retrouver en mer Baltique le dernier spécimen d'une espèce de poisson aussi malin que repoussant, le lompe venimeux, capable de se reconnaître dans un miroir et d'éliminer un autre animal par logique de vengeance. La mission de Karin consiste à prouver que le lompe possède un tel niveau d'intelligence qu'il est impossible d'acheter le droit de le faire disparaître. Karin et Mark se lancent alors dans un périple entre l'Estonie et la Finlande, au cours duquel ils verront des pluies d'insectes morts s'abattre sur eux, traverseront des lacs empoisonnés et découvriront des réserves naturelles d'animaux sises à côté de camps de réfugiés humains. Dans ce très dense roman − qui a obtenu le prestigieux prix Arthur C. Clarke −, on ne sait plus qui, des humains ou des animaux, est le plus en danger. Ce monde en train de s'autodétruire suscite bien entendu des résistances, et des formes d'action directe se multiplient pour sauver le monde animal : on libère des orangs-outangs et l'on pirate les ordinateurs des biobanques. Karin et Mark croisent une étrange femme aux allures de sirène, ministre d'un des derniers États libres, le « Royaume Ermite », qui semble croire qu'il est encore possible de retisser un lien avec le monde sauvage. Même si Karin en doute : « Le meurtre des animaux était un énorme projet collaboratif, peut-être le projet fondamental des humains, comme une campagne de charité ou un effort de guerre auquel chacun apporte sa petite contribution. »

L'écrivain Ned Beauman (né en 1985) incarne une nouvelle tendance de l'imaginaire britannique qui, loin des histoires barrées et quasi psychédéliques de ses aînés Terry Pratchett ou Christopher Priest, revient à une anticipation soucieuse des périls actuels qui menacent notre planète, en s'appuyant sur une rigoureuse culture scientifique. Avec Poisson poison, inquiétant par son acuité, il nous offre un personnage fascinant, cette scientifique esseulée qui semble souhaiter secrètement que les animaux marquent un point, rien qu'une fois, contre une humanité qui n'est plus vraiment sûre de désirer sa propre survie.

Ned Beauman
Poisson poison
Albin Michel
Traduit de l’anglais par Gilles Goulet
Tirage: 4500 ex.
Prix: 22,90 € ; 384 p.
ISBN: 9782226493613

Les dernières
actualités