L'atlas du peintre. On ne sait ce qu'est la vie d'un homme qu'à son terme. Quand la fin est tragique, c'est un destin ; quand, en sus, il a une œuvre, il entre dans la légende. Nicolas de Staël meurt à l'âge de 41 ans. Sa voisine découvre le corps, rapportent les journaux ; il s'était jeté de son atelier-terrasse à Antibes. La critique salue la disparition d'un des peintres les plus talentueux de sa génération. Le musée d'Art moderne de la Ville de Paris offre cet automne ses cimaises à Nicolas de Staël (1914-1955) pour une rétrospective de ce nomade de l'espace pictural, auteur d'une œuvre entre abstraction et figuration. Des toiles vives transfigurant la lumière du Midi ou de Sicile en passant par des abstractions à la palette atténuée ou ces paysages abstraits agrégeant des blocs de couleur, l'exposition parisienne retrace les itinérances formelles d'un artiste français d'origine russe, marqué dans sa chair par l'exil. D'une famille de Russes blancs, orphelin, élevé par un industriel belge et son épouse, les Fricero, le jeune Nicolas suit des études d'art à Bruxelles et entend embrasser une carrière artistique au dam de son père adoptif, qui lui aurait souhaité d'autres ambitions.
Staël voyage en Europe, découvre les maîtres anciens en Italie, au Louvre à Paris... Mais c'est au Maroc que l'œil de l'artiste en herbe se dessille. C'est sous la lumière coruscante du Maghreb que se révèlent à lui la beauté des formes, le chatoiement du monde. Du royaume chérifien qu'il visite entre 1936 et 1937, il déclare : « [Ce pays] est tellement beau qu'il faudrait y faire une académie de peinture, les couleurs étant d'une vivacité et d'un calme en même temps comme nulle part ailleurs et, quant au dessin, l'antique traîne les rues. » Il s'émerveille de la « grâce naturelle » du peuple berbère avec leurs habits bleus paraissant « faire partie du ciel ». À Marrakech, Fès ou Télouet, il écrit ses impressions et dessine. « Les gueux de l'Atlas », un texte destiné à une revue, forme avec des lettres à ses proches durant ce périple marocain et un cahier de notes et de croquis, Le voyage au Maroc, un volume inédit préfacé par Marie du Bouchet, petite-fille du peintre et commissaire de la rétrospective. On y goûte la prose simple de cet artiste doublé d'un littéraire. Simple, non moins profonde. Une fois la question du « sens de la vie de l'homme sur Terre » posée :« plus jamais [ce sens] ne te laissera et ami ou ennemi t'accompagnera jusqu'à ton cercueil ».
Le voyage au Maroc
Arléa
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22 € ; 192 p.
ISBN: 9782363083494