Grand Entretien

Nicolas Sarkozy : l'écriture, la lecture, l'édition, Lagardère...

Sebastien Valente

Nicolas Sarkozy : l'écriture, la lecture, l'édition, Lagardère...

Devenu auteur de best-sellers, l'ancien président de la République est un des rares hommes politiques à les écrire lui-même, et un plus grand lecteur qu'on ne le croit. Il est également depuis un an administrateur de Lagardère, maison mère d'Hachette Livre, et c'est en partie à lui que l'on doit le rapprochement avec Editis. Sur tous ces sujets, il a accepté de s'exprimer dans ce long entretien accordé à Livres Hebdo.

 

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Par Alexandre Duyck / Fabrice Piault,
Créé le 31.05.2022 à 18h44

Livres Hebdo : Comment vous est venu le goût de lire ?

Nicolas Sarkozy : Je suis un lecteur qui s'est construit tout seul. J'ai façonné ma culture et ma bibliothèque une fois entré dans l'âge adulte, vers 22-23 ans. Je me suis alors mis à lire de façon compulsive. Depuis, je ne passe pas une journée sans lire et ceux qui me connaissent savent que j'ai toujours un livre à portée de main.

Pourquoi lisez-vous ? Par plaisir ?

Je dirais plutôt par besoin. À tel point que pour l'éducation de mes enfants, il y a toujours eu deux choses non négociables, la lecture et le sport. J'ai travaillé avec de nombreux collaborateurs bardés de diplômes, des énarques, des normaliens, des agrégés qui, quand ils parlaient de littérature, pouvaient évoquer pendant des heures la vie de Flaubert, son style, ses dates de référence mais n'étaient pas capables d'incarner les personnages de Madame Bovary. Leurs lectures souvent n'étaient pas vivantes car bien trop scolaires.

Comment jugez-vous l'apprentissage de la littérature à l'école ?

Je trouve qu'on lit certaines œuvres beaucoup trop tôt, au risque de détourner de futurs lecteurs de la lecture. Au risque également de générer de l'ennui plutôt que de la passion, avec ce qu'il y a pour moi de pire, faire lire aux élèves des "morceaux choisis". Comme si on pouvait découper une œuvre en morceaux ! Je suis aussi parfois étonné des choix pédagogiques. Des auteurs merveilleux ont pratiquement disparu des programmes scolaires. Je pense à Kessel, Druon, Gary, Mérimée. Tous et bien d'autres seraient pourtant parfaits pour ouvrir à la lecture.

Que lisez-vous ?

Steinbeck, Roth, David Vann, un auteur exceptionnel. Je viens de me replonger dans Les misérables et je lis en ce moment Chaïm Potok, un écrivain polonais remarquable. Je prends tout, avec une grande préférence pour les romans, Fred Vargas et Joël Dicker, Karine Tuil dont j'ai adoré les deux derniers ouvrages, S'adapter de Clara Dupont-Monod, Alexandra Kollontaï d'Hélène Carrère d'Encausse... Je n'ai aimé de Sartre que Les Mots. De Céline, D'un château l'autre, Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, le reste me tombe des mains. Chez Duras, je préfère Un barrage contre le Pacifique à L'amant. Je ne dis pas que j'ai raison, je dis juste que ce sont mes goûts. Et puis tous les trois ou quatre livres, je reviens au XIXe siècle dont je pense que pour la littérature, il court au moins jusqu'en 1940.

Vous avez toujours trouvé le temps de lire, même à l'Élysée ?

Surtout ! Une journée sans lecture est une journée perdue. Il n'y a pas un chagrin qui résiste à une lecture. J'ai aussi la chance de vivre avec Carla qui lit beaucoup et souvent nous nous recommandons nos lectures.

On a pourtant souvent dit que vous n'étiez pas un intellectuel, en tout cas pas un homme de lettres. Votre livre Promenades (Herscher) n'est paru qu'en 2021. N'avez-vous pas laissé cette image s'imposer ?

Je ne prétends pas du tout être un intellectuel si tant est que cela veuille dire quelque chose ! Vous avez cependant raison, j'ai laissé prospérer des polémiques, comme celle autour de Madame de Lafayette. Je m'en suis expliqué depuis. En revanche, Promenades est une merveilleuse aventure, jamais je n'aurais pensé que prendre les gens par la main pour « une promenade » dans le « beau » recueillerait d'aussi belles critiques, alors que je n'ai aucune légitimité de critique d'art. Mais il est vrai qu'en France, un petit milieu laisse entendre que vous êtes un ennemi de la culture dès que vous n'êtes pas de gauche. Or, comme vous le savez, je ne le suis pas.

Comment écrivez-vous ?

J'entends souvent dire qu'écrire est un plaisir. Pour moi, c'est d'abord une souffrance, cela me demande beaucoup d'énergie. En tout cas c'est toujours quelque chose de très sérieux. J'écris à la main, toujours côté recto. Je me mets d'accord avec mes éditeurs sur un projet puis j'écris seul, sans plan, sept ou huit heures par jour, en finissant exténué. Je ne veux pas qu'on me dérange pendant le processus d'écriture. Quand j'ai fini, j'appelle mon éditrice et elle peut récupérer le texte que j'ai déjà relu six ou sept fois. Elle apporte ses corrections pendant quelques jours. Elle vérifie certaines dates, des chiffres... Mais elle touche assez peu à mon texte.

La plupart des personnalités politiques font écrire leurs livres par des « ghost writers », des écrivains fantômes, sans toujours le spécifier. Vous non ?

Quand je fais quelque chose, je le fais complètement. Je ne peux pas me mettre dans les mots d'un autre. Il existe des ghost writers exceptionnels mais pour moi, ce n'est possible. Il écrirait trois pages et à la fin je reprendrais tout. Ça n'aurait aucun sens.

Que certaines personnalités signent un livre qu'elles n'ont pas écrit vous choque ?

Oui, car ce qui n'est pas assumé me choque. [Son assistante apporte un de ses manuscrits rédigés à la main, ndlr] Vous voyez ? J'écris tout. J'enregistre même mes livres audio, c'est vous dire !

Les critiques sur vos ouvrages comptent-elles à vos yeux ?

Oui, énormément.

Plus que celles à l'encontre de votre action politique ?

Bien plus. Dans la vie politique c'est la « marque Sarkozy » qui est attaquée ; là, ce serait l'auteur, l'homme. Mais je dois dire que je n'ai jamais subi de mauvaises critiques de mes livres. En cela, j'ai conscience d'avoir été très chanceux.

On dit que vous ne demandez pas d'avance mais que vos pourcentages sur les ventes figurent parmi les plus élevés qui soient.

Je ne sais pas qui vous a dit ça.

Votre éditrice, Muriel Beyer.

Si elle le dit... Il est vrai que je ne demande pas d'avance. Pour une raison simple : je veux rester libre de publier ou pas le livre si jamais je ne suis pas satisfait du résultat final. Et je vous jure que je ne signe mes contrats que quand j'ai rendu mon manuscrit.

Elle vous décrit comme très impliqué dans tout le processus qui suit, la couverture, la promotion dans les librairies.

Écrire un livre, ce sont des centaines d'heures, un travail gigantesque, donc oui, je m'implique dans toutes les étapes. Quant à la promotion, j'aime les librairies, il faut tout faire pour les préserver. Mais s'il faut aller dans les centres commerciaux et signer le livre entre des paquets de lessive et des couches, cela ne me pose aucun souci. J'aime autant les grandes librairies de centre-ville que ces espaces culturels, le petit libraire de Deauville que les maisons de la presse. Vous écrivez un livre pour partager avec les lecteurs. Stendhal a vendu une centaine d'exemplaires du Rouge et le noir« Au moins aurais-je écrit pour les cent ans qui viennent », disait-il. Vos lecteurs sont autant propriétaires de votre ouvrage que vous-même, c'est très important de les rencontrer. Ma mère avait été emportée par la lecture des Cavaliers de Kessel, elle se précipitait sur le livre en rentrant de son travail. Les cavaliers lui appartenait autant qu'à Kessel.

Nicolas Sarkozy : « La France doit pouvoir compter sur un groupe d'édition de dimension mondiale »0.jpg
Nicolas Sarkozy ITW LH Magazine, mars 2022- Photo SÉBASTIEN VALENTE

Que pensez-vous du calendrier imposé par le monde de l'édition ? La rentrée littéraire en septembre, les documents en octobre ou en mars.

Je ne crois pas aux programmations habituelles. La preuve, je sors souvent mes livres au début de l'été, parce que je pense que le public est plus enclin à acheter un livre avant de partir en vacances qu'à la rentrée de septembre quand il y a tant à faire. J'aimerais que la rentrée littéraire soit avancée à la fin juin... C'est ma conviction. Ce serait plus logique et plus confortable pour les lecteurs occasionnels comme réguliers.

Il y a un an, vous intégriez le conseil d'administration de Lagardère, maison mère d'Hachette Livre. Pour quelles raisons ?

Parce qu'Arnaud Lagardère m'a demandé de venir l'aider alors que l'actionnariat de ce grand groupe français était profondément déstabilisé. C'est un ami de longue date pour lequel j'ai beaucoup d'affection et d'admiration. La mission a été accomplie avec l'arrivée heureuse de Vivendi qui a permis de préserver un grand groupe très important pour l'édition, bien sûr, mais aussi pour le travel retail et l'information. Dans le domaine de la littérature, il peut désormais avoir de véritables ambitions comme acquérir de grandes maisons d'éditions étrangères. Il me semble très important pour la France de pouvoir compter sur un groupe de dimension mondiale. Si Simon & Schuster était à nouveau à vendre, autant que ce soit Hachette qui l'achète plutôt que Bertelsmann. Il y aurait bien d'autres exemples.

Certes mais vous savez que plane sur le nouveau groupe, en cas de fusion Editis-Hachette, la menace d'atteinte aux règles de la concurrence.

Nous verrons le moment venu ce que décident les autorités européennes et françaises mais je suis certain qu'un groupe d'édition de dimension mondiale sera pour les auteurs et le monde culturel français une très bonne chose.

Dans un article paru le 22 mars dernier, Le Monde affirme que vous avez vertement tancé Sophie de Closets, PDG de Fayard (groupe Hachette) qui a depuis démissionné. Fayard qui a publié les deux derniers livres des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme vous concernant... Qu'en est-il ? Pourquoi intervenir en tant qu'administrateur du groupe Lagardère ?

Je n'ai jamais rencontré Mme de Closets, je ne la connais pas, et si je lui ai parlé ce n'est pas en tant qu'administrateur mais en tant que victime d'un coup monté.

Mais l'avez-vous appelée ?

Une fois alors que j'avais appris en lisant le Canard enchaîné que Sophie de Closets avait rémunéré Jérome Lavrilleux [1] pour qu'il livre son témoignage dans un des livres de Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Considérez-vous normal que ce fait n'ait pas été signalé aux lecteurs par Mme de Closets ? C'était au minimum une faute déontologique.

Les auteurs que nous avons contactés démentent...

Les faits sont pourtant actés.

Souhaitez-vous que Fayard cesse de publier les ouvrages de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, très critiques à votre encontre ?

Absolument pas. La liberté est une tradition chez Hachette. Faites confiance à Arnaud Lagardère pour qu'il en soit toujours ainsi !

Le Monde retrace aussi une rencontre avec Olivier Nora, PDG de Grasset, autre maison du groupe Hachette. « Le ton est si agressif que le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, l'ancien préfet de police Michel Gaudin, présent lors de l'entretien, en est gêné », écrit Le Monde. Qu'en est-il ? Encore une fois, êtes-vous dans votre rôle d'administrateur ?

Chacun comprendra que tout ceci n'est que polémique sans fondements et ragots inutiles.

Plusieurs dirigeants d'autres maisons d'édition, comme Françoise Nyssen (Actes Sud) ou Antoine Gallimard s'inquiètent de la fusion à venir entre Editis et Hachette. La première a déclaré que le livre doit demeurer « un métier artisanal, pas industriel », que ce projet fait planer « une grande menace pour les libraires ». Le second a ajouté que « la culture ne devrait pas être dominée par la finance ». Que leur répondez-vous ?

Je trouve que c'est injuste. On devrait se réjouir que des grands groupes croient dans le livre, dans la culture française et européenne. À force de crier au loup, on se décrédibilise. Croyez-vous que les auteurs ne préfèrent pas être respectés à propos des droits qui leur sont alloués ? Être publiés dans un groupe fort à dimension mondiale qui peut mieux assurer la promotion de leurs livres sur la scène internationale ? Ou alors, on écoute ces dirigeants et on décrète qu'il n'existe qu'une ou deux maisons d'édition qui sont légitimes, à savoir les leurs ? Et que les autres ne le sont pas ? Je pense sincèrement qu'il faut se réjouir de l'engagement de Vincent Bolloré au service du rayonnement de la culture française et européenne. Pour tous les observateurs objectifs, il représente une opportunité. C'est une chance de l'avoir comme actionnaire.

Hachette compte-t-il trop de maisons d'édition ?

Certainement pas ! La seule question serait plutôt de savoir : est-ce qu'on ne publie pas trop ? Est-ce que la quantité ne tue pas la qualité ? Je me contente de poser ces questions car je sais que la réponse est complexe. Mais je vois qu'il paraît 650 romans à la rentrée littéraire de septembre, et encore 500 en janvier. Est-ce que les vrais talents ne se retrouvent pas noyés dans la masse ? Un libraire qui veut vraiment défendre un auteur, c'est compliqué. Un livre c'est d'abord un auteur ou une autrice. Je reste convaincu que les droits d'auteur doivent être une priorité ; l'auteur est à la base de tout. Hugo disait : « L'écrivain propriétaire est un écrivain libre. » Une fois encore, il avait raison.

 

[1] Ex-directeur adjoint de campagne de Nicolas Sarkozy, lui aussi condamné le 30 septembre 2021 dans l'affaire « Bygmalion ».

 

BIO 

 

28 janvier 1955 Naissance à Paris. 1983-2002 Maire de Neuilly-sur-Seine. 2005-2007 Ministre de l'Intérieur. 2007-2012 Président de la République. 2016 Publie La France pour la vie. 2019 Passions. 2020 Le temps des tempêtes. 2021 Promenades. Juin 2021 Membre du conseil d'administration du groupe Lagardère.

 

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