"Je ne voudrais pas être, dans ce texte, autre qu’un spécialiste de la pomme de terre parlant de la pomme de terre : avec sérieux, distance et amitié traitant son sujet." Le sujet ici, en forme d’interrogation provocante, c’est Que faire des classes moyennes ?. On pourrait ajouter que le livre de Nathalie Quintane, entre texte d’intervention et méditation armée, est un essai de définition, une tentative de "serrer l’idée que l’on se fait de la classe moyenne", cette "classe de plus en plus inquiétante".
Depuis Tomates (P.O.L, 2010, disponible en Points) qui a marqué une orientation plus directe vers l’analyse sociopolitique, suivi récemment par Les années 10 (La Fabrique, 2014), un recueil de textes dans lequel on trouvait cette autre question dérangeante : "Pourquoi l’extrême gauche ne lit pas de littérature ?", l’écrivaine, professeure de lettres, se fait de plus en plus frontale et offensive même si ses livres ne prennent jamais la forme classique de l’essai engagé. Nathalie Quintane continue de procéder par associations libres, mises en relation d’éléments hybrides reliés à son sujet - chiffres, courbes, métaphores, marqueurs -, repérés au cours de ses lectures. Elle organise ainsi des liens qui sortent du préjugé, sans regard en surplomb, en position d’observation participante. "Le grand ciment social, c’est la vengeance - de l’ancien français venjance. […]. Par conséquent, il faut des textes de venjance, et c’en est un." Poussant les hypothèses dans leur retranchement, dans une confrontation au cœur de la langue et des discours : c’est comme ça que Nathalie Quintane pense. A rebours. Elle nous offre des pistes pour penser, à notre tour, et s’ouvrir à "une autocritique enfin consciente". Véronique Rossignol