Bilan

Nouvelles librairies : sept ans après, que sont-elles devenues ?

Nouvelles librairies : sept ans après, que sont-elles devenues ?

Livres Hebdo est parti à la recherche des points de vente dont la création a été annoncée entre 2007 et 2012. Alors qu’au terme de cette période de démarrage les situations individuelles peuvent être très contrastées, les problématiques auxquelles doivent faire face les créateurs sont souvent communes. Six d’entre eux témoignent de leur parcours.

J’achète l’article 1.5 €

Par Clarisse Normand
Créé le 11.10.2013 à 19h29 ,
Mis à jour le 11.04.2014 à 11h59

Entre 2007 et 2012, Livres Hebdo a annoncé la création d’environ 160 librairies indépendantes. Sur une période de presque sept ans, âge de raison par définition, une trentaine d’entre elles ont aujourd’hui définitivement tiré le rideau. Soit un taux de mortalité proche de 20 %, sachant que plus de la moitié des disparitions ont eu lieu avant la fin de la troisième année. Après Polarys à Brest ou encore Lignes noires à Avignon, L’Echappée littéraire à Paris vient de fermer ses portes, moins de deux ans après sa création. Comparé au taux de mortalité moyen des entreprises qui, tous secteurs confondus, atteint 50 % à la fin des cinq premières années, celui de 20 % que nous venons d’évoquer paraît faible. Au-delà des aides sectorielles octroyées à certains créateurs par l’Adelc, le CNL et les Régions, l’explication en revient à notre panel de référence, qui intègre un premier écrémage lié à la capacité de communication, gage de professionnalisme de ceux qui le composent. Mais, à côté des chiffres, l’enquête que nous avons réalisée auprès des créateurs de ces jeunes librairies permet surtout d’appréhender leur parcours de manière qualitative.

 

 

Le cap des trois ans.

Comme on pouvait s’y attendre, les établissements créés sont généralement de petite taille : plus de 80 % ont ouvert sur moins de 100 m2, et seuls trois se sont installés d’emblée sur plus de 1 000 m2. Dans cet ensemble, les petites librairies sont celles qui ont le plus de difficultés à dépasser le seuil de cinq années, correspondant souvent à la fin du remboursement des dettes qu’elles ont contractées à l’ouverture. En fait, comme dans tout commerce, les trois premières années constituent le premier grand cap à passer. Sur un plan commercial, c’est le temps nécessaire pour se faire connaître de la clientèle et valider son projet. Et sur un plan financier, c’est l’exercice à partir duquel les avantages liés à la création disparaissent et entraînent la régularisation de certaines charges, dont les cotisations pour le régime social des indépendants.

 

Souples mais fragiles, nombre de librairies de moins de 60 m2 ne cachent pas être aujourd’hui sur le fil du rasoir. « Je pensais que ce serait dur, mais pas à ce point », lance Catherine Lepage, à la tête de Librairie & curiosités à Quimper, créé sur 30 m2 en 2011. A Castelnaudary, Alex Billard, qui a ouvert La Petite Plume en 2010, « dans un local mal placé », s’apprête même à déposer le bilan.

A posteriori, tous reconnaissent qu’il y a des éléments sur lesquels il ne faut pas transiger, car ils conditionnent la viabilité du projet. Au premier rang de ceux-ci figurent, d’un côté, la solidité du montage financier, et, de l’autre, la qualité de l’emplacement du magasin. D’où, parfois, des déménagements peu de temps après la création. Ainsi des Deux Mondes, créé en 2009 à Bastia, ou de Terminus polar, qui, quatre ans et demi après son ouverture à Paris (11e), s’apprête à emménager dans un nouveau local à la fois plus visible et plus grand. Elément aussi important que le fait d’être deux pour pouvoir se partager certaines tâches, la taille du magasin constitue un facteur déterminant pour la largeur et la profondeur de l’offre, mais aussi pour la visibilité de l’établissement et sa crédibilité vis-à-vis des clients et des fournisseurs. D’ailleurs, nombre de diffuseurs ne cachent pas être a priori dubitatifs concernant l’avenir d’une librairie de moins de 70 m2.

Mais, au-delà du magasin et de la qualité de l’offre et des compétences des libraires, ces structures dont la taille n’excède pas les 200 m2 reposent aussi sur le dynamisme et le moral de leur fondateur.

 

 

Gérer les tensions financières.

Cet aspect est d’autant plus important que le métier est très mal payé et requiert énormément de travail. Si, au bout de quelques années, quand tout va bien, le dirigeant peut se rémunérer 1 500 euros, au démarrage, il ne se verse généralement pas de salaire pour pouvoir équilibrer ses comptes. Et parfois, dans ce métier qui attire des passionnés prêts à débuter avec des moyens calculés au plus juste, cette situation dure plus longtemps que prévu. Ainsi Christophe Persouyre, à la tête de l’enseigne I love my blender depuis 2007 à Paris, ou encore Herveline Vinchon, qui a ouvert en 2009 Le Soleil vert à Calvisson, ne se versent toujours pas de salaire. Et à Metz, François Carré, à l’origine du Carré des bulles, ne se rémunère guère plus de « 700 euros au bout de cinq ans et demi ». Même en tenant compte d’un apport personnel important, de la bonne situation financière de leur conjoint(e) ou encore de la perception d’aides à la création d’entreprise, la position de ces libraires est difficilement tenable à terme sur un plan économique et psychologique. Mais, plus que la faiblesse des salaires, ce qui « use » dans le métier, c’est, pour beaucoup, la gestion des tensions financières. « Je suis à la limite du burn-out, lâchait récemment Gaëlle Partouche, qui a ouvert la librairie jeunesse Les Modernes à Grenoble, en 2008. Je passe mon temps à courir après l’argent. J’ai l’impression d’être sur un fil tendu avec une minuterie dans la tête. » Comme l’a expérimenté Eric Fitoussi, cofondateur en 2000 de Passages, à Lyon, il faut du temps pour installer une librairie et assurer son bon fonctionnement économique. « C’est le contraire d’une start-up. Il faut au moins quatre ans pour connaître sa clientèle et proposer une offre en adéquation avec la demande. Or, c’est la clé pour avoir une gestion saine et des comptes dans le vert. »

 

 

 

Grandir pour croître.

Pour autant, même lorsque l’implantation est réussie, rien n’est gagné. Car, à compter de la troisième ou quatrième année, se pose souvent la question de la poursuite du développement de l’activité. Si beaucoup de libraires préfèrent débuter sur des petites surfaces, plus faciles à gérer quand ils se lancent seuls, ceux dont les performances commerciales se révèlent à la hauteur de leurs espérances se rendent vite compte de la nécessité de s’agrandir pour continuer à croître. Quitte à devoir déménager. C’est ce que vient de faire Le Grain de lire, créé en 2009 à Lalinde, ou encore L’Ilot pages, qui a ouvert en 2011 à Malakoff. Confrontée à une autre problématique, Marianne Ferrer, cofondatrice du Grenier d’abondance en 2007 à Salon-de-Provence, aimerait bien « continuer à faire plus et mieux, mais, explique-t-elle, avec certains diffuseurs, je ne dispose pas, en tant que libraire de second niveau, des informations nécessaires pour affiner mon offre et optimiser ma gestion ». De son côté, Laurent Béranger, qui a fondé avec sa femme la librairie Aux livres, etc. en 2010 à Paris, à deux pas de la place de la République, voudrait pouvoir profiter des effets de la rénovation du quartier. « Pour ce faire, il faudrait que nous augmentions notre stock, mais nos marges ne nous le permettent pas. Et, comme nous n’avons pas prévu dans notre plan de financement initial un budget de redéploiement, notre développement va dépendre des subventions que nous pourrons obtenir. »

 

Fondées sur des investissements initiaux nettement plus importants, les librairies qui ont ouvert sur plus de 1 000 m2, à savoir Sauramps Odyssée, créée en 2009 à Montpellier, Passion culture, en 2011 à Orléans, et Decitre, en 2012 à Lyon Confluence, n’ont pas non plus la partie facile. L’enjeu réside pour elles dans le bon calibrage des moyens à mettre en œuvre au regard de la demande. Alors que Passion culture peine pour l’heure à s’imposer, Sauramps Odyssée a fini par trouver ses marques, selon son directeur, Florent Moure.

In fine, on ne peut que saluer la capacité de résistance dont font preuve les libraires qui viennent de créer leur magasin… et s’interroger sur les conséquences que risque d’avoir le durcissement de la crise économique sur ces structures fragiles. Parmi les libraires dont la situation est tangente, beaucoup déclarent d’ailleurs que l’année 2013 sera décisive pour la poursuite de leur activité. <

Les gourmands lisent à Besançon

Photo DR

Depuis qu’elle a ouvert en juin 2008 à Besançon L’Ivre des mots, devenue en septembre 2010 Les Gourmands lisent, Julie Duquesne estime être « passée par tous les états possibles, de l’euphorie à l’abattement. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir la gueule de bois ». Et ce n’est pas parce qu’elle a transformé il y a trois ans son magasin en librairie-cave à vins ! Mais son parcours n’a pas été sans heurts. Lâchée par son associée un an et demi après l’ouverture et confrontée à un problème de découvert concernant « une somme de 4 000 euros que la banque a refusé de couvrir », elle s’est retrouvée en redressement judiciaire début 2010. « L’activité était correcte, mais insuffisante pour assurer un bon fonctionnement. Il faut du temps pour que les gens s’habituent à un nouveau commerce dans une ville moyenne comme Besançon. » Autorisée à poursuivre son activité, Julie Duquesne s’est depuis associée avec son mari, caviste, pour partager les coûts de son local de 60 m2 et proposer une offre mixte. Aujourd’hui, le nouveau concept est bien accueilli, mais les sommes dues dans le cadre de la procédure judiciaire plombent le redressement des résultats. « D’autant qu’il nous faut supporter les travaux d’urbanisme, à l’origine d’une baisse de 40 % de la fréquentation du centre-ville », s’inquiète Julie Duquesne. Inutile de préciser que, dans ce contexte, le couple ne se verse pas de salaire, « alors même que nous travaillons chacun 60 heures par semaine », précise la libraire, toujours passionnée, mais de plus en plus perplexe quant à l’avenir. <

Le Poivre d’âne à La Ciotat

Photo DR

Les premières années ont été rudes, reconnaît Valérie Ehrhardt, qui a ouvert seule, en 2007, Le Poivre d’âne, une librairie généraliste de 50 m2 dans une petite rue de La Ciotat. « Pour ne rien arranger, je me suis vite rendu compte que je n’avais pas assez emprunté. Il me manquait en permanence 15 000 euros de trésorerie. Du coup, toutes les fins de mois, je tremblais de ne pas y arriver. C’était épuisant. »

Mais, depuis un an, elle « s’éclate ». Aidée par l’Adelc et quatre clients qui ont investi dans la librairie, elle a déménagé sur le port dans un local de 100 m2 où elle a étoffé son offre et embauché une salariée. « Enfin je vends des livres ! Je ne suis plus dans une négociation perpétuelle avec des gens qui me demandent de tout argumenter. Comme si, en gagnant en taille et en visibilité, mon offre était devenue plus crédible », constate-t-elle aujourd’hui, heureuse de récolter ce qu’elle a « semé depuis cinq ans ». Dès lors, le chiffre d’affaires, qui stagnait autour de 230 000 euros, a bondi de « 40 % depuis le déménagement ». Mais surtout, forte des aides reçues, Valérie Ehrhardt retrouve une marge de manœuvre financière qu’elle n’avait pas jusqu’alors. Redynamisée, elle entend bien profiter de ce nouvel élan. « Maintenant que nous sommes deux dans la librairie, je vais pouvoir sortir et participer à des opérations hors les murs. » Une façon de faire rayonner la librairie et de conquérir de nouveaux clients. <

Folies d’encre à Gagny

Photo DR

Céline La Vallée ne regrette nullement d’avoir abandonné sa carrière d’anthropologue pour ouvrir en septembre 2008 une librairie généraliste en Seine-Saint-Denis, dans la seule rue commerçante de Gagny. Parrainée par Jean-Marie Ozanne, fondateur de la première librairie Folies d’encre à Montreuil, et aidée par l’Adelc, le CNL et la Région, elle est aujourd’hui à la tête d’un établissement de 65 m2 employant une salariée et réalisant un chiffre d’affaires de l’ordre de 300 000 euros. Mais, surtout, elle s’est taillé une jolie petite réputation grâce au succès de ses animations. « Dès le début, j’ai su que je devais embaucher une personne si je voulais organiser des rencontres. Léa est arrivée moins d’un an après l’ouverture et elle m’accompagne toujours », se félicite Céline La Vallée. Pragmatique et réaliste, elle reconnaît n’avoir « jamais eu aucun fantasme sur le métier… et donc aucune gêne ni sur la dimension commerciale ni sur les tâches de manutention ». Dans le même temps, il n’était pas question de travailler bénévolement. « Ne pas me payer serait revenu à fausser la viabilité de l’entreprise et à nier la valeur de mon travail », estime-t-elle. Et, de fait, elle se verse aujourd’hui un salaire de « 1 600 euros, et rémunère Léa 1 500 euros ». <

Le Livre à venir à Saumur

« Dès le premier jour, j’ai su que la librairie fonctionnerait », lance Patrick Cahuzac, quatre ans et demi après l’ouverture du Livre à venir à Saumur. « Lorsque j’ai ouvert les portes du magasin, le 6 décembre 2008, vers 14 heures, il y avait déjà des clients qui attendaient dehors, se souvient-il. Résultat, j’ai travaillé jusqu’à 21 heures ! » Depuis, le succès ne s’est pas démenti, avec une nette accélération la troisième année. Aujourd’hui, sur une surface de vente maintenue à 55 m2, la librairie emploie trois personnes et déclare un chiffre d’affaires de 400 000 euros. « La boutique n’est pas idéalement placée, reconnaît Patrick Cahuzac, mais je crois qu’il y a tout de suite eu une bonne alchimie. » Conscient d’avoir eu une carte à jouer suite à la reprise en 2006 de la grande librairie indépendante de la ville (Val de Loire) par un Espace culturel Leclerc, l’ancien éditeur devenu libraire a très vite su proposer une offre en adéquation avec la demande. Aujourd’hui, alors qu’un second Espace culturel Leclerc a vu le jour en périphérie et que celui du centre-ville s’apprête à fermer ses portes, Le Livre à venir entend continuer à creuser son sillon. <

L’Autre Rive à Toulouse

Photo DR

En ouvrant en 2008 une librairie généraliste de 70 m2 dans un quartier de Toulouse en cours de réhabilitation, François-Xavier Schmit ne prévoyait pas d’agrandir son magasin dès la quatrième année. Mais la libération, l’an dernier, du local adjacent était une occasion à saisir. D’autant que « notre activité, en croissance régulière les trois premières années, atteignait un palier, argumente-t-il. Et, de fait, l’agrandissement nous a donné un nouvel élan. » En témoigne la croissance de 15 % enregistrée par l’activité depuis lors. Installée sur 120 m2, L’Autre Rive réalise désormais un chiffre d’affaires annuel de plus de 380 000 euros. « Pour deux personnes, cela devient limite ! » observe François-Xavier Schmit, ancien cadre de l’industrie automobile, qui se souvient d’avoir été frappé, lors de son arrivée dans le métier, par « le temps et l’énergie dont il faut faire preuve ». « Sachant que le magasin est ouvert tous les jours, on y est tout le temps. Fini les notions de semaine, de week-ends, de vacances ! Mieux vaut être passionné, donc. » <

Sauramps Odyssée à Montpellier

Photo O. DION

Lorsqu’elle a ouvert, en septembre 2009, 2 000 m2 dans le centre commercial Odysseum, situé aux abords de Montpellier, la librairie indépendante Sauramps relevait un défi ambitieux. Près de quatre ans après, Florent Moure, directeur de Sauramps Odyssée, est formel : «Le nouveau magasin a trouvé ses repères sur un plan commercial et sa vitesse de croisière sur un plan économique. » Mais, avant d’en arriver là, il aura connu un démarrage délicat. «Le plus difficile a été de faire comprendre aux gens que nous proposions d’autres produits que le livre et que cette offre était crédible, estime a posteriori Florent Moure. Il a aussi fallu adapter les valeurs de Sauramps à l’identité du nouveau point de vente. Comme nous avions été trop ambitieux au démarrage, en prenant pour argent comptant les prévisions de fréquentation du centre commercial annoncées par le bailleur, nous avons dû procéder à des réajustements à la baisse concernant l’offre, mais aussi les effectifs, qui ont été ramenés de 45 à 35. » Résultat, à la fin de mars, Sauramps Odyssée a atteint « l’équilibre financier, avec un chiffre d’affaires TTC de 8 millions d’euros, dont 4,7 millions dans le livre ». Et, cette année, si l’on en croit son directeur, le résultat devrait être positif, avec une croissance d’activité de 5 %. <


11.10 2013

Les dernières
actualités