"Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Mila va succomber." Ces phrases pourraient évoquer le début d’un polar, mais Leïla Slimani explore un autre genre. Elle a l’art de sonder les âmes perturbées. Remarquée pour son premier roman Dans le jardin de l’ogre, la jeune auteure confirme son talent, ainsi qu’un goût pour les névroses et les pulsions entraînant ses héroïnes loin, très loin…
On se situe à nouveau dans les beaux quartiers. Myriam a une vie comme celles qu’on lit dans les magazines féminins. Mais elle est frustrée. Comment concilier carrière, féminité et maternité ? Cette aspiration à la perfection hante plus d’une mère de famille. Même si elle adore ses enfants, Myriam a parfois l’impression "qu’ils [la] dévorent vivante". Aussi éprouve-t-elle le besoin de reprendre son métier d’avocate, un choix désapprouvé par son mari. Ils engagent donc Louise. Quelle perle rare ! Sa patronne ne tarit pas d’éloges à l’égard de cette "fée imperturbable".
Dans ce milieu, les employés font partie des meubles. La nounou se fond dans le décor, tout en s’intégrant parfaitement à cette famille qu’elle envie tant. Pourtant "son visage est comme une mer paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses". Plusieurs personnages se succèdent alors pour sonder ses démons, sur un air de berceuse infernale. On suit inexorablement la mécanique intérieure d’un être qui perd pied. Propulsé sur un toboggan, le lecteur ne peut arrêter cette chute vertigineuse et fascinante. La tragédie de Leïla Slimani est parfaitement huilée. Et elle parvient en filigrane à dresser le portrait de nos prisons sociétales et intimes.
Kerenn Elkaïm