Oliver Gallmeister : "Une certaine forme d'intégrité peut être récompensée"

JEAN-LUC BERTINI

Oliver Gallmeister : "Une certaine forme d'intégrité peut être récompensée"

Quatre éditeurs indépendants 2/4. Ils sont quatre jeunes éditeurs, lancés dans le métier depuis quelques années, toujours indépendants, et dont les catalogues sont remarqués, appréciés, voire imités. Comment ont-ils fait ? Imaginaient-ils que cela serait comme ça ? Après Héloïse d'Ormesson, c'est au tour d'Oliver Gallmeister.

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Par Catherine Andreucci
Créé le 31.05.2016 à 18h30 ,
Mis à jour le 01.07.2016 à 12h23

Livres Hebdo - En cinq ans, vous avez construit un catalogue cohérent et reconnu, couronné par le prix Médicis étranger 2010 pour Sukkwan Island de David Vann, vendu à 130 000 exemplaires (1). Cette réussite valide-t-elle votre choix d'être indépendant et spécialisé en littérature américaine des grands espaces ?

Oliver Gallmeister - J'ai eu la chance, quand j'ai créé la maison, d'être très bien accueilli par les libraires, la presse, et d'être soutenu par mon diffuseur. Je suis allé frapper à la porte d'éditeurs comme Anne-Marie Métailié ou Laurent Beccaria, des Arènes, qui m'ont reçu pendant des heures, m'ont conseillé, et le font encore aujourd'hui. J'éprouve un sentiment de reconnaissance envers eux. En réalité, ce n'est pas très compliqué de devenir éditeur. Le rester l'est davantage. Car il est important de s'inscrire dans la durée. Je crois sincèrement que le temps du livre n'est pas le temps des hommes ; quand on achète les droits d'un livre, c'est pour soixante-dix ans. Anne-Marie Métailié m'avait dit : allez voir les libraires, ce sont eux qui vous apprendront votre métier. Elle avait entièrement raison. Sur le terrain, on comprend que publier un livre par semaine, c'est trop, et on se rend compte du travail énorme fait par les libraires pour défendre un titre. Notre destin est étroitement lié au leur. Je consacre un quart, voire un tiers de mon temps à rencontrer les libraires. Cette relation de confiance nous a incités à faire ce qu'on aimait, avec l'obligation de ne pas décevoir. Je crois qu'il y aura toujours un noyau dur de lecteurs pour cette littérature qui me tient à coeur. On ne publiera pas plus de dix livres par an et l'on garantit une certaine qualité. Le fait que l'on soit toujours là au bout de cinq ans conforte ma conviction qu'une certaine forme d'intégrité peut être récompensée.

Vous publiez désormais neuf titres en grand format et six en semi-poche chaque année, l'équipe est passée à cinq personnes. Jusqu'où une maison comme la vôtre peut-elle se développer ?

Nous avons atteint une bonne vitesse de croisière. Le développement ne peut être que qualitatif : choix des livres, fabrication... Dès qu'on a eu de l'argent, on l'a investi pour améliorer la qualité des livres. Aujourd'hui, nos livres sont cousus, le papier est plus épais. Les textes sont relus de façon encore plus attentive ; Marie-Anne Lenoir, une jeune éditrice, nous a rejoints cette année. On peut aussi s'investir davantage avec les libraires, à travers les remises et les outils qui leur permettront de défendre ce qu'ils aiment. Le rêve n'est pas de publier 100 livres par an pour les vendre chacun à 1 000 exemplaires pendant trois mois, mais plutôt d'en publier dix qui se vendront sur la durée à 100 000 exemplaires. C'est ça le modèle économique sérieux, pas celui de l'édition industrielle germanopratine qui consiste à résoudre des problèmes d'argent en produisant trois fois plus.

Vous n'avez cédé aucun de vos livres à un éditeur de poche et avez créé, en 2010, la collection de semi-poche "Totem". Pourquoi cette option ?

Parce que je pense que c'est un suicide de céder son fonds à un tiers. Dès la première année, j'ai eu des propositions, mais si j'avais cédé Le gang de la clé à molette d'Edward Abbey, il serait sans doute mort à présent. Ce que vous gagnez en à-valoir et en pourcentage n'est rien comparé à ce que vous gagnez si vous continuez à exploiter vous-même le titre. Créer notre collection de semi-poche est surtout une nécessité car elle permet de toucher un nouveau lectorat et de pérenniser nos auteurs. Notre travail, c'est aussi de faire vivre un fonds, le nôtre, mais pas seulement. J'ai repris A propos de courage de Tim O'Brien, qui n'était plus disponible, alors que c'est un livre enseigné à l'école aux Etats-Unis. Je refuse le diktat de l'actualité, cette fuite en avant vers la nouveauté. Aujourd'hui, on achète encore Les misérables, Shakespeare... La base de notre métier c'est de faire vivre son fonds. Actuellement, il représente un tiers de notre chiffre d'affaires. Mon objectif est d'arriver à 60 %. C'est un modèle économique sain.

Les créations de maisons d'édition sont toujours plus nombreuses. Comment analysez-vous cette vitalité dans un marché globalement morose ?

Est-ce que ce n'était pas déjà le cas il y a dix ans, ou dans les années 1980 ? Mais il y a peut-être une envie générationnelle de faire les choses différemment. Dans une situation économique difficile, les gens sont attirés par la qualité. Tôt ou tard, ils préfèrent aller manger dans les bistrots de quartier et laissent tomber les McDo. On passe d'une économie de masse malsaine à une économie du qualitatif. Une génération d'éditeurs a compris cela. Ce n'est pas une question d'âge, mais de profil. Depuis une dizaine d'années, sont apparues des maisons comme Sabine Wespieser, Sonatine, 13e note... La vigueur de l'édition vient de ces petites maisons extrêmement professionnelles. Nous avons peu de frais de structure : avec un téléphone et un ordinateur portables, on fait tout. Ça change radicalement la façon de faire de l'édition. Rentrer dans une logique industrielle, privilégier la quantité au détriment de la qualité, c'est antinomique de l'édition. La ligne de fracture est profonde entre un modèle industriel qui vit sur la trésorerie des libraires, ce qui est scandaleux, et un modèle artisanal qui a de beaux jours devant lui. J'ai une grande admiration pour les maisons, grandes ou petites, qui font un travail d'éditeur, choisissent les livres, font vivre leur fonds, imposent des auteurs. Le marché est très dynamique, il y a beaucoup de créativité, des projets enthousiasmants... C'en est même grisant. Et à côté, il y a ce grand corps malade qu'est la surproduction. Contrairement à ce qu'on entend ici et là, ce cancer ne provient pas des petites maisons d'édition. Le point commun entre toutes ces structures, c'est qu'elles maîtrisent leur production à une époque où l'on gère une économie de la rareté. Ce modèle me paraît très proche des fondamentaux du métier.

Une maison de votre taille est-elle armée pour faire face aux défis que pose le numérique ?

On ne peut pas ignorer le numérique mais il faut garder la tête froide. Ce sera sans doute un plus, et ça ne remplacera pas le livre papier. Les grands groupes ont fait le choix du numérique car ils s'intéressent uniquement à leur rentabilité. Numériser, ce n'est pas très compliqué et ça ne coûte rien. Mais si cela revient à mettre en danger les libraires, il y aura un vrai problème. Et ceux qui vont gagner de l'argent sur le numérique ce ne sont pas les éditeurs mais les fabricants de matériel, les Apple, Samsung, Sony. Le numérique va arriver et doit arriver. A nous de nous adapter, de réfléchir avec les libraires à une manière de travailler ensemble, d'être de meilleurs éditeurs et de publier de meilleurs livres.

Quels sont selon vous les chantiers à lancer en priorité dans l'édition ?

L'essentiel est de faire évoluer le modèle économique traditionnel pour valoriser le travail fait en librairie. Je suis convaincu que les éditeurs et les diffuseurs doivent travailler ensemble sur le sujet des remises. Tout est ouvert. On peut imaginer une collaboration entre libraires et éditeurs avec des remises plus importantes, un travail de réassort sur le fonds, des retours maîtrisés... Le Bookscan anglais peut être un autre chantier à ouvrir en France. Encore une fois, l'édition est un métier d'offre. Si on ne fait pas bien notre métier, les gens ne liront pas nos livres. Si on le fait bien, il y aura toujours un lectorat prêt à nous suivre.

(1) Désolation, le nouveau roman de David Vann, paraitre le 1er septembre.

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