Le regardeur voit plus loin que le regard. Il guette les signes, les coïncidences et se laisse happer par la force des choses. C'est bien ce qui est à l'œuvre dans ce livre d'itinérance. La promenade que nous propose Pacôme Thiellement est réjouissante à tout point de vue. Par sa démarche de troubadour céleste, ses coups de gueule contre le Louvre des marchands ou cette obsession du caché, l'auteur de L'enquête infinie (PUF, 2021) poursuit son interprétation du monde via ce Paris des profondeurs.
Cette déambulation mystique s'ouvre par une visite à Saint-Denis-sous-terre, la plus vieille et la plus inaccessible chapelle parisienne, fermée au public, et située sous un immeuble du Ve arrondissement. L'auteur nous la décrit : un autel, trois statues, des fresques et surtout l'épaisseur du sacré. Une sacrée épaisseur en effet ! Elle fascine tellement Pacôme Thiellement, cette distance qui nous sépare de ce que nous ne voyons plus. Elle façonne depuis des années son œuvre inclassable qui commence à être repérée par les amateurs d'étrange.
Comme dans tout bon livre, on entre dans celui-ci par inadvertance. Et puis, très vite, on est happé : le style qui emprunte autant aux Beatles qu'à la Bible, les citations qui s'entremêlent, les photos prises à la volée. Muni de sa théologie portative, Pacôme Thiellement sort en vrac ses souvenirs, ses lectures, son érudition, un peu de tout en fait pour raconter son Paris, celui qu'il aime, ce Paris du dedans, ce Paris des initiés et des illuminés, ce Paris souterrain à mille lieues des catacombes pour touristes, ce Paris des Nerval, Baudelaire, Hugo, Hardellet ou Daumal, ce Paris des surréalistes où la moindre déambulation fait sens. Et comme lui nous guettons des signes dans cette balade où le but compte moins que les étapes.
Tout cela est plein de poésie, d'émotion, de malice et de drame, une bonne recette de la littérature quand elle se confronte à l'essai. Magie des images, des esprits et des lieux, Pacôme Thiellement inscrit ses pas dans ceux de Léon-Paul Fargue, Henri Calet, Jacques Yonnet, Éric Hazan et consorts, promeneurs de Paris et chasseurs de maléfices. Il convoque ses gnostiques à lui, les « Sans Roi » qui ont fait Paris, de son encyclopédiste Balzac à Cavanna, « le plus grand écrivain français de la fin du XXe siècle » qui revendiquait une rue Robespierre. Il nous fait aussi son cinéma en compagnie de Rivette et de Truffaut, il mobilise son lecteur et ne le lâche pas avant la fin de la visite, qui n'en est pas une bien entendu. Ombre massive, il se faufile dans le moindre recoin, toujours à l'affût d'un pochoir, d'une inscription. Comme chez l'artiste Jacques Villeglé, le père du street art récemment disparu qui composait ses œuvres à partir d'affiches récupérées dans les rues, Pacôme Thiellement nous raconte une autre histoire à partir d'une sculpture, d'un graffiti, d'un détail. Voilà pourquoi son livre n'est pas un livre « sur » Paris mais « sous » Paris, une sorte de manifeste pour l'émancipation spirituelle du regard.
Paris des profondeurs
Seuil
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 20 € ; 240 p.
ISBN: 9782021485165