Dostoïevski pour la vie ! Raskolnikov, brillant étudiant pauvre, décide de tuer la vieille usurière qui lui extorque le peu de fortune qu'il possède. À quoi sert-elle de toute façon, se demande-t-il. Les surhommes ne s'embarrassent pas du bien et du mal, ces notions forgées pour les faibles... Suis-je comme un pou ou comme Napoléon ? L'introspection est radicale chez Raskolnikov. Crime et châtiment de Dostoïevski, c'est un peu du Nietzsche en fiction, du nihilisme héroïque. Autant dire que pour un adolescent en phase aiguë de rébellion, l'auteur idoine. Il le fut en tout cas pour Paolo Nori qui signe ici un hommage à l'écrivain russe.
Nori découvre à 15 ans le roman susmentionné, et c'est « la stupeur » : « Ce livre comme les livres mémorables que j'ai rencontrés au cours de mon existence, a transformé un moment quelconque, parmi les innombrables moments que j'ai vécus depuis plus de cinquante-six ans, en un moment inoubliable, un moment où j'ai eu conscience d'être vivant, un moment où j'ai senti mon sang vibrer dans mes veines. » L'auteur italien et traducteur du russe poursuit ce plaidoyer « pro Dosto » en citant un critique compatriote de ce dernier qui le dépeint comme « un archer dans le désert, pourvu d'un carquois rempli de flèches qui vous font saigner quand elles vous touchent ». Pourquoi, aujourd'hui, un livre sur Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, « ingénieur sans vocation, traducteur humilié par ses propres éditeurs, génie précoce de la littérature russe, nouveau Gogol, meilleur que Gogol, aspirant révolutionnaire, [...] écrivain sans le sou », lu et décrié, condamné au bagne en Sibérie, puis réhabilité et fêté à Saint-Pétersbourg, et dont l'œuvre contribuera à forger le mythe de cette « ville la plus abstraite et préméditée de la planète » selon le mot du personnage des Carnets du sous-sol ? La réponse est dans le titre de ce drôle de roman de Paolo Nori : Ça saigne encore ! Non seulement la fièvre a emporté son auteur, la plaie qu'a ouverte en lui la lecture du romancier russe est encore vive, vive telle la flamme de vérité crue qu'enseigne chaque ouvrage du maître.
Le héros littéraire ici dépeint nous fait vivre sous la plume aiguisée de Nori ses premiers succès, ses doutes, ses deuils... Mais plus que d'une vie de Dostoïevski, il s'agit d'une véritable initiation aux lettres russes, Pouchkine, Gogol, Tourgueniev, Tolstoï, Boulgakov, Nabokov, doublée des propres réflexions sur la littérature de l'Italien russophile.
Ca saigne encore
Philippe Rey
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 21 € ; 336 p.
ISBN: 9782384820603