A quoi sert la recherche en histoire ? Claire Zalc apporte une réponse évidente dans Dénaturalisés. L’objet de son étude est précis : la loi du 22 juillet 1940 sur les révisions des naturalisations et ses effets. Pour cela, elle a épluché un millier de dossiers, examiné le fonctionnement de la Commission de révision, les recours et les conséquences des quelque 15 000 retraits.
Elle constate que ceux qui ont naturalisé sous la IIIe République dénaturalisent sous Vichy. Mais sur quels critères ? L’antisémitisme n’est officiellement pas mentionné comme dans d’autres lois de Vichy, mais il est omniprésent. On voit bien à l’œuvre, derrière la mention "israélite", une logique bureaucratique se mettre en marche sur le thème de la traque des "mauvais Français" en totale rupture avec la tradition républicaine.
L’historienne, directrice de recherche à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (CNRS-ENS), montre bien comment le non-dit finit en ouï-dire, en supposant ce que souhaite l’Etat français, sans se soucier un seul instant des conséquences du retrait de la nationalité française pour ces familles vulnérables, désormais privées du bouclier républicain et livrées aux nazis. Elle révèle aussi comment s’exerce le pouvoir discrétionnaire des magistrats, des préfets et des maires dans un contexte autoritaire.
Exploratrice d’une "infra-histoire" en référence à l’"infra-ordinaire" cher à Georges Perec - dont le dossier familial est ici étudié -, Claire Zalc explique que cette loi fut un terrain d’affrontement entre les autorités françaises et allemandes. Pétain refuse ainsi en août 1943, alors que tout le territoire métropolitain est occupé, de signer le projet de loi dicté par les autorités allemandes d’une dénaturalisation collective des Juifs. Il veut garder cette prérogative de dire qui est français ou pas. C’est la seule souveraineté qui lui reste.
Après Melting-shops : une histoire des commerçants étrangers en France (Perrin, 2010) et Face à la persécution : 991 Juifs dans la guerre écrit avec Nicolas Mariot (Odile Jacob, 2010), Claire Zalc plonge davantage dans les archives, "au ras des dossiers", comme elle dit, pour y trouver matière à dire, notamment ici sur ce que signifie être français. La recherche en histoire sert aussi à l’édification des citoyens. L. L.