Les changements de cap ont parfois des allures de chute. Mais pour se ressaisir, être debout, en pleine conscience, ne faut-il pas être tombé ? À l'instar du futur saint Paul sur le chemin de Damas - le pharisien, ébloui et désarçonné, qui deviendra l'un des plus grands apôtres du christianisme après avoir été l'impitoyable persécuteur des chrétiens. Pour Pedro Correa, la conversion ne fut pas aussi mystique, encore que. Au commencement était également une chute. Son père meurt en tombant du figuier dont il était en train de cueillir les fruits. Son père, qui portait exactement le même prénom que lui et qui lui ressemblait tant. « Dans son visage, je m'étais reconnu et je me suis vu mort », se souvient l'essayiste de Matins clairs (L'Iconoclaste) qui signe ici son premier roman chez Verso, Le cercle des héros anonymes. Le deuil ouvre une blessure et une brèche qui sera un nouveau chemin. Et Pedro Correa de se formuler cette question : « Si tu devais mourir, voudrais-tu changer quelque chose de cette dernière journée ? » Le théorème existentiel n'attendait pour son application que cet accident tragique survenu l'été de ses 29 ans.

Naissance à Madrid, enfance à Avignon, retour à Madrid, départ pour Bruxelles... Si la vie de Pedro le jeune avait zigzagué au gré des changements de poste de Pedro l'ancien, professeur de littératures espagnole et française, le parcours scolaire et professionnel de l'auteur belgo-hispanique aujourd'hui installé à Boitsfort, commune bruxelloise en bordure de la forêt de Soignes, dessinait une belle ligne droite. Voire une flèche ascensionnelle. Baccalauréat européen, prestigieuse école d'ingénieur jusqu'au doctorat puis carrière à la BNP Paribas Fortis après un détour par une start-up d'encodage d'images. Côté vie privée, c'est marié avec enfant et pavillon en périphérie de la capitale. « Je ne me trouvais pas à ma place », confie Pedro Correa. C'est que, sous l'égide d'un père littéraire qui le soir lui lisait Candide de Voltaire comme un conte pour enfants et d'une mère artiste qui s'était inscrite aux Beaux-Arts sur le tard et était devenue peintre, il avait toujours évolué dans un « environnement créatif ». « Alors pourquoi m'avoir poussé à faire des études d'ingénieur ? » Tropisme de la réussite sociale plus endémique encore chez des « parents issus d'un milieu extrêmement modeste » ? Quoi qu'il en soit, Pedro Correa qui s'adonne en parallèle à la photographie (« du Saul Leiter, toutes proportions gardées, et sans le savoir, puisque je ne l'ai découvert qu'après coup ») décide de se lancer et démissionne de la banque. De cette bifurcation, il témoignera lors d'une conférence à son ancienne école d'ingénieur. L'intervention est postée sur Internet. Résultat : plus d'un million de vues en quelques semaines et l'intérêt d'une éditrice de L'Iconoclaste... S'ensuit la publication de Matins clairs. Lettre à tous ceux qui veulent changer de vie. Avec Le cercle des héros anonymes, Pedro Correa nous exhorte derechef à ne pas rater notre rendez-vous avec nous-mêmes. Entre thriller et roman d'initiation, c'est l'histoire de David et Elsa, un lanceur d'alerte et sa fortuite complice ad hoc, et d'une armée de l'ombre en lutte contre « le système ». Afin que chacun trouve sa juste place, en adéquation avec soi-même et le monde. Changer de vie pour changer la vie.