Création

Pierre Rosanvallon lance sa maison d’édition

Pierre Rosanvallon - Photo Jéro?me Panconi

Pierre Rosanvallon lance sa maison d’édition

Maison d’édition complétée d’un site Internet, dotée d’importants moyens et filiale du Seuil, Raconter la vie veut devenir le Parlement des invisibles.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 29.11.2013 à 14h34 ,
Mis à jour le 06.12.2013 à 12h55

C’est un projet ambitieux, à la fois éditorial et sociétal, que lance Pierre Rosanvallon avec cette maison dont les premiers titres arriveront en librairie le 5 janvier prochain. « Je suis persuadé qu’il y a encore de la place pour innover dans l’édition, d’où ce projet de publier des livres qui racontent la société française d’aujourd’hui, celles des invisibles dont on ne parle jamais », explique le professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’histoire moderne et contemporaine du politique. Déjà directeur des collections « La république des idées » (Seuil) et « La vie des idées » (Puf), il est donc maintenant directeur éditorial de Raconter la vie (RLV), le nom de cette entreprise dont le projet mûrit depuis avril 2012. Elle arrive à point, à un moment d’exaspération qu’elle veut traiter : « Les gens vont vers les extrêmes et le populisme parce qu’ils ne sont pas écoutés », estime l’éditeur.

Ancien d’HEC, passé par la CFDT, historien, auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Pierre Rosanvallon ne veut pas rester dans l’analyse de la crise de la société française, mais tenter de contribuer à la résoudre en portant la parole du Parlement des invisibles, le texte-manifeste qu’il signe et qui fait partie des cinq premières publications de la maison. Il s’est donné les moyens de cette ambition, avec un capital de départ de 325 000 euros, fourni à 51 % par le Seuil, qui le complète d’une garantie d’apport en compte courant. «Nous ne voulions pas avoir de pression au démarrage ; nous pourrions tenir trois ans sur ces fonds », explique-t-il, ajoutant que le solde est financé par lui-même et un groupe d’amis. Olivier Bétourné, président du Seuil, est gérant de la filiale.

 

 

Archétype du quotidien

A l’image de la revue XXI, l’édition papier sera répliquée d’un site qui complétera les livres de bonus et d’interviews. Il servira aussi de lieu d’expression, tout un chacun étant invité à y raconter sa vie. C’est un des défis de ce projet que d’attirer la parole d’anonymes pour la transformer en archétype du quotidien des gens ordinaires. Une douzaine de récits sont déposés sur la version bêta. « Libraire est un métier difficile, les lecteurs d’autrefois qui provenaient des professions libérales se font de plus en plus rares ; par contre, il y a dans les classes moyennes de véritables passionnés que l’on peut fidéliser », écrit Gaspard Chaumont, un ancien comptable et ingénieur informatique reconverti libraire d’ancien à Versailles. Claire Godard, qui relate son CDD d’attachée de presse dans l’édition, devrait être lue dans les filières formant aux métiers du livre pour évacuer les illusions.

 

Les ouvrages seront courts, 90 000 signes sur 80 pages environ, avec une fabrication soignée. Ils coûteront 5,90 euros, et 3 euros en numérique. «Nous prévoyons une douzaine de titres par an, avec des tirages de 12 000 à 15 000 exemplaires, des mises en place dans 3 000 points de vente », prévoit Pauline Peretz, codirectrice éditoriale. « Nous espérons faire entrer dans les librairies des gens qui n’y allaient pas », ajoute Pierre Rosanvallon.

 

 

Un ton factuel et sobre

Les auteurs viendront de tous les horizons et pratiqueront tous les genres, témoignage, enquête journalistique, analyse sociologique, récit littéraire. Dans la première livraison, Moi, Anthony, ouvrier d’aujourd’hui, raconte ses CDD en entrepôts et centres d’expédition, où les conditions de travail ne sont pas meilleures que chez Amazon. Si La course ou la ville, reportage d’Eve Charrin sur les livreurs à Paris, rencontre le succès, la réputation de ces galériens de la camionnette s’en trouvera grandement améliorée. Sébastien Balibar, physicien, réussit à transformer sa recherche sur la rigidité des cristaux d’hélium (superfluides, ou supersolides ?) en quasi-polar. Le philosophe Guillaume Le Blanc, qui a déjà écrit sur L’invisibilité sociale (Puf), met en lumière La femme aux chats, une contrôleuse des impôts qui organise l’autre partie de sa vie autour d’un élevage de sacrés de Birmanie, matous crème aux yeux bleus.

 

Dans la deuxième série de titres, en avril prochain, on trouvera un récit d’Annie Ernaux sur la vie du centre commercial des 3 Fontaines à Pontoise (Tu as vu les lumières, mon amour). Rachid Santaki, auteur de polar qui a « amené de nombreux jeunes à la lecture », décrit le Business dans la cité, en Seine-Saint-Denis. François Bégaudeau a promis le portrait d’une infirmière. L’univers si particulier du tuning aura aussi son récit. Le ton des premières écritures est factuel et sobre ; on y lit souvent le portrait d’une société dure avec ses éléments les plus fragiles, qui ne baissent pas les bras. Mais « il n’y a pas dans RLV de parti pris de style ou de ton. Nous voulons une collection accueillante à toutes sortes de regards et de voix », explique Pauline Peretz.

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