Revenant six mois après sur le succès aussi spectaculaire qu’inattendu de son Petit pays (Grasset), Gaël Faye admet non sans humour dans nos colonnes qu’il n’a encore "rien pigé" à la mécanique littéraire et qu’il lui faudra bien écrire quatre à cinq livres supplémentaires avant de pouvoir "ajouter "écrivain" sur [son] CV". Certes, en prenant la plume qui lui a apporté le prix Fnac et le Goncourt des Lycéens, le rappeur "n’est pas tombé sur des personnes qui habitent sur une autre planète". Mais il perçoit les auteurs "un peu comme des moulins à paroles qui s’écoutent". "La parole doit être vivante, plaide-t-il, pas reliée de cuir au fond d’une bibliothèque."
De fait, si les frontières entre les différents secteurs de la culture sont poreuses, les incompréhensions subsistent. Dès la fin des années 1940, Jean Cocteau, qui a deux fois présidé le jury du Festival international du film de Cannes, dont la 70e édition se déroulera du 17 au 28 mai, se demandait : "Que fais-je dans ce festival ? C’est aussi peu ma place que possible." Pourtant, les amours du cinéma et de la littérature ont de longue date fait la preuve de leur fécondité.
Lors de la création du festival, en 1946, les écrivains étaient surtout invités à apporter une caution intellectuelle et culturelle à un art qui n’était "que" le 7e, par ordre d’apparition. Dans les années 1950 et 1960, on a pu voir sur la Croisette Marcel Pagnol et Raymond Queneau, Romain Gary, Henry Miller ou Tennessee Williams, et par la suite plusieurs dizaines d’autres jurés écrivains, dont certains se sont aussi glissés derrière la caméra.
Depuis le début du siècle, où le cinéma a pris de l’assurance, Cannes utilise moins les auteurs comme têtes d’affiche. Mais ceux-ci sont devenus des rouages essentiels de l’industrie cinématographique comme pourvoyeurs de scénarios. Un film sur quatre s’inspire d’une œuvre littéraire, faisant du marché des adaptations un des maillons essentiels du 7e art et, par ricochet, également un accélérateur des ventes de livres.