6 janvier > Essai Etats-Unis > David Carr

Lorsque le 12 février 2015, après avoir participé à une vidéoconférence avec Edward Snowden, David Carr s’effondre dans son bureau du New York Times, c’est sans doute la dernière légende du journalisme américain qui disparaît, à l’âge de 58 ans. Spécialiste redouté des médias, bête noire du "mogul" Rupert Murdoch (ce qui donne une idée de son influence), enquêteur hors pair, Carr était plus que la meilleure plume du NYT, un modèle de rigueur et de liberté pour ses confrères et une figure de héros américain avec chute et rédemption au programme. En cause, son passé de toxicomane et, surtout, la relation qu’il en fit dans un livre, La nuit du revolver, paru aux Etats-Unis en 2008, qui rencontra un énorme succès et dont Stephen King a chanté les louanges.

Puisque les temps sont clairement au journalisme narratif, il était curieux que l’édition française n’ait pas encore traversé cette Nuit. L’oubli est désormais réparé, grâce aux éditions Séguier, qui inaugurent avec David Carr une nouvelle collection, "L’indéfinie", dédiée à des textes plus évidemment littéraires. C’est le projet même du livre qui le rend aussi fascinant. Loin d’être une "simple" relation de son addiction ou plus encore une autobiographie, le texte est construit comme une enquête. Une enquête dont Carr serait le sujet, non pas en majesté, mais en souffrance, voire en fieffé salopard. Durant trois ans, entre anciennes fiancées, dealers, vieux copains, flics, confrères, il va interroger sans cesse tous ceux qui croisèrent sa route durant ses deux décennies d’addiction, confrontant leurs souvenirs aux siens et s’affrontant de fait à une vertigineuse mise en doute du réel. Ce faisant, il revient aux sources non seulement de sa vie, mais aussi du journalisme. Se gardant de tout "éditorialisme", il aligne faits et témoignages, brossant au passage un tableau fascinant de l’envers du décor des années poudre et disco. De ce chaos pourtant, de cette nuit, naît le paysage apaisé d’un homme qui aura appris à vivre avec ses démons et peut écrire : "Ce que je méritais : hépatite C, peine de prison, VIH, un banc dans un jardin public, une mort prématurée et merdique. Ce que j’ai eu : une belle maison, un bon travail, trois adorables enfants." Réconcilié, à jamais. O. M.

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