Décryptage

Pourquoi attaque-t-on Amazon?

Spot publicitaire d'Amazon France pour Noël 2020 - Photo Amazon.fr (Youtube)

Pourquoi attaque-t-on Amazon?

Amazon plie sous les pressions mais ne rompt pas. Les pétitions et tribunes à l'encontre du géant du e-commerce ne cessent de se multiplier depuis le début du deuxième confinement. Accusé de détruire les commerces de proximité et de profiter de la crise sanitaire, son impact environnemental, économique et social est de plus en plus décrié. Etat des lieux sur un géant qui cherche depuis une semaine à redorer son image.

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Par Dahlia Girgis
Créé le 20.11.2020 à 21h00

"Nous avons décidé de reporter la date du Black Friday si cela permet de rouvrir les commerces et les magasins physiques avant le 1er décembre", a annoncé Frédéric Duval, le directeur général d'Amazon France, le 19 novembre sur TF1. Sous pression, l'enseigne américaine rejoint le mouvement de solidarité des principales fédérations du commerce en ligne en reportant d’une semaine l'opération promotionnelle venue des Etats-Unis, et fortement critiquée en Europe. "Une mesure d'intérêt général" estime ce matin le patron français du géant du commerce en ligne.

Le patron de la filiale française se démène depuis une semaine dans les médias pour revaloriser l'image d'Amazon, sérieusement attaquée dans l'Hexagone. Le ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire et les commerçants, contraints à la fermeture en raison des conditions sanitaires, ne tarissaient pas de critiques. Depuis fin octobre, les appels au boycott du géant de la vente en ligne n'ont cessé de se multiplier. Dernièrement, c'est une pétition réclamant un "Noël sans Amazon", qui a été lancée le 17 novembre. En tête des participants, on trouve le Syndicat de la Librairie, la Place des libraires ainsi que des élus et des personnes du monde de la culture. Plus de 31000 signatures ont été recueillies.

Le débat devient passionnel et idéologique. Dans une vidéo publiée jeudi après-midi sur les réseaux sociaux, les députés Matthieu Orphelin (EDS) et François Ruffin (FI) expliquent que cette pétition a été la cible d'une cyberattaque. Des dizaines de milliers de fausses signatures ont été ajoutées à la pétition pour surcharger le serveur. L’auteur de l’attaque serait un spécialiste en lobbying auprès de grands groupes, dont Amazon. Des poursuites judiciaires sont envisagées par le site d'hébergement.



Plus généralement, Amazon doit batailler sur plusieurs fronts. Outre l'image même de la marque, le groupe est attaqué pour ses contournements fiscaux et ses utilisations de données personnelles, ses conditions de travail, son empreinte carbone et l'artificialisation des terres causées par ses gigantesques entrepôts et, enfin, sa relative hégémonie dans plusieurs secteurs.

Amazon est accusé d'être une "entreprise prédatrice des emplois (1 emploi créé chez Amazon, c’est entre 2,2 et 4,6 emplois détruits sur nos territoires)". Ce constat vient d'une note d'analyse réalisée en novembre 2019, par l'ex-secrétaire d’Etat au numérique (LREM), Mounir Mahjoubi. Dans son rapport intitulé, "Amazon vers l'infini et pôle emploi !", il précisait qu'en 2018, la firme aurait causé la destruction de 7900 emplois.

Des données à l'opposé de la communication du géant américain, qui les conteste. Sur son site, l’enseigne dit avoir créé 9300 emplois directs en CDI, et 13000 emplois via les revendeurs partenaires de sa place de marché, en 2019. Interpellé au Sénat sur la situation d'Amazon en France, l'actuel secrétaire d'Etat chargé du numérique, Cédric O a déclaré : "la psychose française sur Amazon n’a aucun sens. Le e-commerce c’est 10% du commerce en France, Amazon c’est 20% du e-commerce. Il n’y a pas un pays européen où Amazon est plus bas qu’en France."
 
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La part d'Amazon est estimée par Kantar à 7,4 milliards d'euros, soit 16,5% de part de marché en incluant les grandes surfaces alimentaires, 22% hors grandes surfaces alimentaires. Un Français sur 3 aurait acheté un produit sur la plateforme. Le portail commerçant est leader sur le multimédia, la culture, la décoration, le bricolage, la domotique, les jouets, et la papeterie. D'autres instituts évaluent sa part de marché à 25-30%.

Pour attirer plus de clients, Amazon ne cesse de se diversifier. En plus de plateforme de vidéo et de musique en streaming, de l'alimentaire (aux Etats-Unis), de son cloud (ultra-rentable), le géant du e-commerce propose depuis le 17 novembre la vente de médicaments aux Etats-Unis.

L’explosion du e-commerce

La France est le 2e marché de e-commerce en Europe avec environ 103 milliards d’euros de chiffre d'affaires, en 2019. Dans son rapport, la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), rapporte que 40 millions de Français achètent sur Internet, soit 78,3 % des internautes, sur le premier trimestre de 2020 selon Médiamétrie. Dans le détail, les produits culturels représentent le deuxième marché internet en nombre d’acheteurs.

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"Le commerce de proximité souffre réellement, mais je ne suis pas du tout convaincu que ce soit l'effet Amazon. Il y a une évolution dans notre société, les enseignes de ventes en ligne répondent à un besoin des consommateurs, s'il n'y avait pas de demande, ça ne se développerait pas", assure le président de la communauté de communes de Grand Lieu, Johann Boblin,  favorable à l'installation d'Amazon à Montbert en Loire-Atlantique.

Implantation d'entrepôts et promesse d'emplois

Longtemps, Amazon a été accueilli par les élus comme une promesse de revitalisation de leurs territoires. L'ouverture d'un centre de logistique ou d'un entrepôt était une garantie d'emplois. Les opportunités d'emplois sont au cœur du débat dans la ville de Petit-Couronne, près de Rouen, en Seine-Maritime. Amazon a pour projet d’ouvrir d'y ouvrir un entrepôt de 160000 m2 sur l’ancien site de la raffinerie Petroplus. L’enseigne explique que cette nouvelle plateforme permettra la création de 1839 emplois. Un argument auquel est sensible le maire de la ville, Joel Bigot

"Nous n’avons pas les moyens de nous priver de 1500 emplois, alors que notre taux de chômage est de 17 %. Notre population et celles des villes alentour ont besoin d’emplois !", défend l'élu socialiste. Pour l’instant, le préfet de Seine-Maritime a reporté, jusqu'en juillet 2021, l’avis attendu du Conseil de l’Environnement et des Risques sanitaires et technologiques sur l’implantation de l’entrepôt. 

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Conformément à la procédure, le Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CoDERST) doit rendre un avis pour qu’ensuite le préfet se prononce sur l’arrêté d’autorisation d’exploiter ou non le site, qui se trouve dans une zone où le risque incendie est pris très au sérieux.

Le même genre de polémiques et de conflits entre partisans et opposants se multiplient en France: au Pont-du-Gard, à Quimper, à Montbert , il y a ceux qui défendent l'emploi et les autres qui s'alarment des nuisances et de l'impact environnemental. Près d'Annecy, les habitants ont commencé à se révolter contre le va-et-vient de camions. A Strasbourg, la mairie et l'Eurométropole ont soutenu les opposants à l'implantation d'un entrepôt Amazon pour empêcher la venue du groupe à à Ensisheim. Pour se justifier, certains élus arguent qu'Amazon détruit les commerces de centre-ville, en plus d'être à contre-courant de la transition écologique en bétonnant des hectares de terres naturelles.

Dans la pétition pour un Noël sans Amazon, “ce développement accéléré se fait aux dépens des engagements climatiques”. Pour sa part, Amazon met en avant la signature en 2019, de The Climate Pledge, un engagement à atteindre la neutralité carbone d’ici 2040. Tout en lançant sa propre compagnie aérienne de fret ou en multipliant les déplacements pour assurer une livraison la plus rapide possible, notamment dans le dernier kilomètre.

Une surcharge de travail mal encadrée

Plus surprenant, de nombreux maires de gauche ignorent les polémiques sociales chez Amazon. On se souvient qu'Arnaud Montebourg, pourtant défenseur d'une certaine souveraineté nationale, avait accueilli à bras ouverts Amazon dans son département.

Plusieurs documentaires et ouvrages ont pourtant relaté des conditions de travail tendues et difficiles. Partout en Europe, des grèves ont régulièrement entamé le bon fonctionnement du géant. Souvent durant le Black Friday, ou, pendant le premier confinement, en France. La part de marché France du commerçant en ligne est ainsi passée de 24% sur les trois derniers mois de 2019 à 13% en mars-avril-mai.

En parallèle au développement de ces entrepôts et aux promesses d’emplois, les conditions de travail des salariés font l’objet de plusieurs luttes syndicales. La dernière date du 10 novembre, lorsque les syndicats Sud, CGT et FO d’Amazon ont appelé à une grève illimitée. En cause, la décision de la direction de rendre obligatoire le travail le samedi 28 novembre et les trois suivants. Le but est de pouvoir assurer le rythme important des commandes dès le début du Black Friday.
 

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"Le volume d'activité va augmenter, ça explose déjà sur d'autres sites en raison des commerces fermés", explique Robin Collignon, délégué syndical CGT Amazon. "Tous les ans il y a une intégration d'intérimaire en fin de l'année pour compenser, mais avec le Covid, il y en a moins, car il ne faut pas être en sureffectif sur le site", témoigne l'employé, en poste depuis 4 ans à Montélimar. En échange de cette charge de travail, les salariés toucheront 37,5 euros par samedi travaillé. Mais, les syndicats réclamaient pour cela, 2 euros supplémentaires par heure de travail, comme ça a été le cas lors du premier confinement, ainsi qu’une prime de 1000 euros.

"Le gros problème c'est le respect des distanciations sociales dans certaines situations comme lors du badgeage le matin", raconte Robin Collignon. Sur environ 1100 employés de la plateforme, environ 5 personnes sont des cas confirmés de Covid-19. Pour ces personnes, ou les employés vulnérables, les syndicats réclament la prise en charge à 100%. 

Lors du premier confinement, Amazon avait dû fermer six entrepôts. Les salariés avaient demandé un meilleur protocole sanitaire face au Covid-19 et une décision de justice avait appuyé leurs revendications.

La place de marché d’Amazon : l’argument de la défense

Conséquence indirecte: l'impact pour de nombreux commerçants qui passent par Amazon pour vendre leurs produits. Produit fondateur de son offre commerciale il y a 26 ans, le livre n'est pourtant plus son produit phare. Mais le groupe porte encore les stigmates de la destruction de nombreuses librairies physiques aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, qui n'ont pas pu résister à son agressivité tarifaire et ses algorithmes.

"Si je prends les libraires en particulier, on est complémentaire de trois façons différentes. Premièrement, on vend essentiellement des livres qui ont plus de deux ans (70?% de nos ventes). Deuxièmement, on effectue des livraisons partout sur le territoire, y compris là où il n'y a pas de libraires. Et troisièmement, il y a des centaines de libraires qui vendent sur la place de marché Amazon et qui, grâce à cela, ont accès à une zone de chalandise plus large", rétorque Frédéric Duval, directeur général d’Amazon France sur France Culture.

La place de marché qu'évoque le président d’Amazon France comprend 11000 entreprises françaises (5% des commerces d'Amazon), dont 3500 librairies indépendantes. Un article sur deux vendus sur le site viendrait de cette Marketplace, dont la commission pour le vendeur se situe entre 12 et 15?%.

Les frais d'expédition fixés à 0,01 euro chez Amazon sont plus concurrentiels qu'ailleurs. Un avantage concurrentiel qui a obligé le gouvernement à annoncer début novembre qu'il prendrait en charge les frais postaux pour les libraires indépendants pendant le confinement.
 



Mais là aussi, l'horizon d'Amazon s'assombrit. Le 10 novembre, la Commission européenne a annoncé l'ouverture d'une enquête concernant un traitement préférentiel des offres d'Amazon ou des vendeurs de cette place de marché utilisant les services de livraison du géant américain. Une première enquête accuse déjà l'enseigne de pratiques concurrencielles inégales, comme le souligne sur Twitter Margrethe Vestager, présidente de la Commission. Il apparaît il apparaît que "des volumes considérables de données non publiques des vendeurs sont à la disposition des salariés de l'activité de vente au détail d'Amazon", a indiqué la commissaire européenne.

Une législation erronée

Si en France, le printemps fut noir pour Amazon, le premier confinement a dopé ses résultats dans le reste du monde. L'action boursière de la firme a depuis augmenté de 13 milliards de dollars. La loi qui encadre ce fructueux commerce en ligne date du 21 juin 2004. Pour remédier aux possibles vétustés de cette loi, la Commission européenne présentera début décembre deux textes de régulation du numérique.

En attendant, certains réclament une meilleure imposition. Le sénateur LR Jean-François Husson souhaite faire adopter un amendement d’une taxe pour les entreprises dont plus de 50 % du chiffre d’affaires est lié à la vente à distance. Une tribune publiée le lundi 16 novembre sur France Info réclame même une taxe spéciale en cette période de confinement signée par 120 libraires, éditeurs, économistes, élus et syndicats. Alors que tous les commerces dont les produits sont jugés "non essentiels" ont le rideau baissé, Amazon se trouve de fait avantagé comme l'avance la ministe de la Culture, Roselyne Bachelot, ouvertement opposée à l'enseigne. 
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Dans un souci de transparence, Amazon a déclaré avoir payé 420 millions d'euros de "masse fiscale" [ce qui ne veut pas dire impôts, ndlr] sur 5,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2019. Cela comprend les impôts sur les sociétés et locaux, ses cotisations sociales, patronales et salariales, et également la TVA versée par ses clients. De plus, la firme est accusée de pratiquer de l’optimisation fiscale. "Ce que fait Amazon c'est de choisir le lieu où la fiscalité est la plus avantageuse pour y faire remonter par un système de facturation l'ensemble de ses commissions, en l'occurrence en Europe il s'agit du Luxembourg", explique Anthony Bem, avocat fiscaliste spécialisé dans le droit internet.

Pour lutter contre cette pratique, le gouvernement français a voté fin 2018 la taxe Gafa (Google Apple Facebook Amazon), un impôt de 3 % sur le chiffre d'affaires réalisé en France par ces grandes entreprises. Mais son impact est discuté. "Il n'y a pas de visibilité sur l'ensemble des commissions remontées donc la taxe GAFA a un impact oui et non car il n'y a pas de transparence", développe l'avocat Anthony Bem. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire aimerait tout de même instaurer cette taxe au niveau mondial. Pour l'instant les discussions piétinent.

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