Editeurs et critiques littéraires se sont vigoureusement affrontés jeudi 19 juillet sur France Inter autour de la question du formatage ou non des livres de l’été. Dans le rôle de l’éditeur qui donne les définitions, Bernard Fixot (P-DG des éditions XO), dans celui du trublion, Joseph Macé-Scaron (critique littéraire). Laurent Laffont (directeur littéraire chez Lattès), lui, a joué l’apaisement dans l’émission «Cha cha tchatche» animée pendant l’été par Olivia Gesbert. Verbatim.

Horizontalité de la lecture

Selon Bernard Fixot, les livres de l’été sont ceux « que les gens lisent sur la plage et qui se vendent le plus. Des livres plus faciles et qui s’adressent au plus grand nombre.»

Laurent Laffont étoffe la définition : «ils apportent une découverte, une aventure, un contraste aussi avec l’état horizontal dans lequel on est. » Et d’évoquer les thrillers et les romans historiques.

Joseph Macé-Scaron, lui, estime qu’«il n’y a pas de règle.» «L’élégance du hérisson de Muriel Barbery sera incontestablement le livre de l’été. Ce n’est pas un livre épais, il ne raconte pas une grande histoire, et ce n’est pas un livre facile. Contrairement à ce qu’on a pu lire récemment dans la presse, il n’a rien à voir avec les romans d’Anna Gavalda. Méfions-nous des idées toutes faites !»

Ce succès réduit-il à néant l’idée d’une stratégie quelconque pour l’été ? demande Olivia Gesbert.

Des recettes aléatoires

Pour Bernard Fixot, «l’exemple est toujours là pour confirmer la règle. C’est une très bonne surprise, et il y en a tous les ans. Mais derrière cette discussion, il y a l’idée que le livre de l’été est un livre que l’éditeur fabrique. Comme si l’éditeur pouvait fabriquer un livre ! Non. Tous les éditeurs se disent, quand ils ont un livre qu’ils appellent grand public – c’est-à-dire avec des ressorts universels – qu’il vaut mieux le publier à un moment où les gens achètent le maximum de livres.»

Mais au final, comme il le rappelle, «c’est le public qui décide. Dans les listes de best-sellers, Muriel Barbery triomphe à juste titre, et Bernard Giraudeau aussi.»

Ce qui a suscité les protestations de Joseph Macé-Scaron : « Il a tout fait pour être un best-seller : c’est Bernard Giraudeau, il a un problème personnel, un problème de santé, c’est une vedette. C’est un très bon livre, mais il est complètement formaté pour la ménagère de moins de 50 ans ! Bernard Giraudeau prend la place d’Yves Simon. »

Réponse tout aussi indignée de Bernard Fixot : «C’est une analyse a posteriori. Je pense que Bernard Giraudeau ne l’a pas écrit pour ça. J’espère.»

Laurent Laffont tente d’apaiser le débat: «Formater un bouquin pour en faire un livre d’été, ça n’existe pas ! Somerset Maugham a tenté d’écrire un best-seller et il s’est planté considérablement. Lui-même reconnaît qu’un livre grand public ne fonctionne qu’à partir du moment où l’auteur fait preuve d’une authentique sincérité. Elle est payante car les lecteurs la reconnaissent. Ce n’est pas forcément une littérature d’une grande exigence mais d’une grande émotivité. »

L’éditeur de Dan Brown l’admet toutefois : «C’est vrai, il existe des romans un peu préparés et poussés en direction du succès. Mais il est extrêmement rare qu’un véritable écrivain puisse répondre à un formatage. Je n’en connais qu’un, Max Gallo. Il est tellement tout terrain qu’il peut à la fois faire de l’excellente littérature et des livres très grand public.»

Bernard Fixot saisit la balle au bond : «Mais qu’est-ce que ça veut dire, un véritable écrivain ? Pour les Français, c’est quelqu’un qui se met devant sa page blanche, écrit, ne sait pas, vous dit quelquefois que ses héros lui ont échappé. Et un faux écrivain est quelqu’un qui écrit en pensant à ses lecteurs. Dans cette catégorie-là, on mettra Victor Hugo, Alexandre Dumas... Quand Victor Hugo sort Les Misérables, il se fait insulter par la critique ! Aujourd’hui, il est au Panthéon... »

La ménagère méprisée

Les auditeurs et surtout les auditrices n’ont pas manqué de s’indigner d’un «mépris» vis à vis de «la ménagère de mois de 50 ans». Ils ont aussi critiqué l’affirmation de Bernard Fixot. «Un bon livre rend heureux celui qui l’a acheté», dit l’éditeur. «Ce ne sera pas le même livre pour la caissière de supermarché et pour le chercher au CNRS, pour le lecteur de La revue des deux mondes et celui de Voici. Il y en a de toutes les sortes. Je choisis de faire un certain type de livres avec XO: trouver de jeunes auteurs qui écrivent de belles histoires, en faire des best-sellers en France et les vendre à l’étranger.»

Des propos auxquels a aussi réagi Bernard Martin, responsable des éditions Joca Seria, depuis La Baule où il dirige le festival «Ecrivains en bord de mer» : « on discrimine les gens, en opposant la caissière de supermarché au chercheur du CNRS, c’est profondément scandaleux ! Est-ce qu’on peut s’adresser à l’intelligence, à la sensibilité des gens et non à cette petite case qui est aussi un tiroir-caisse ? Oui, et la preuve en est ici que la rencontre est possible entre des écrivains exigeants et le public», dit-il, prenant pour exemple François Bon, Chloé Delaume, Christian Prigent, des écrivains invités au festival.

Le ton s’est adouci autour de la question du décalage de la rentrée littéraire en juin, proposé par Claude Durand (P-DG de Fayard) l’an dernier.

Pour Laurent Laffont, «la rentrée, c’est la rentrée, un nouveau monde commence avec de nouveaux livres. Les libraires ont en quelque sorte une rentrée en juin puisqu’ils reçoivent tous les livres et ont l’été pour les lire et faire leurs choix.»

Face aux 727 romans de la rentrée, Bernard Fixot tempère : «18 000 nouveautés de romans et de documents paraissent chaque année, et 42 000 en comptant tous les titres. La rentrée représente finalement très peu de titres. Et ça a toujours été comme ça.»

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