Jusqu’à présent, la question du point de vue taraudait surtout la littérature pour adultes. Voilà qu’elle déboule dans la littérature jeunesse. Dans cet album de Philippe Jalbert, le loup raconte l’histoire à parité avec le Petit Chaperon rouge : chacun sa page. Après tout, en ces temps de réflexion sur la conscience animale, quoi de plus normal qu’humains et animaux se partagent à parts égales le gâteau de la narration ? Sur la page de gauche, le texte dévolu au loup est laconique, tout en phrases lapidaires et simples verbes. "Faim… écouter… Flairer…". Au contraire, celui relatif à la petite fille est léger et frivole.
Tout à coup, dans le champ de vision du canidé, apparaît une tache rouge. "Là. En chasse", commente la légende. La double page du milieu instaure un moment clé, celui de la rencontre stupéfiante de leur face-à-face. D’un côté, le Petit Chaperon rouge gracieux vu par le loup ; de l’autre, la gueule du loup en gros plan, avec ses yeux rouges terrifiants, vue par la fillette. Autre double page saisissante : celle de l’arrivée de la fillette chez la grand-mère, après que le loup l’a mangée. A travers la fenêtre, le loup voit s’approcher la petite tache rouge dans l’allée, tandis que sur la page de droite, l’enfant voit l’ombre de la bête se dessiner sur la porte de bois à laquelle elle s’apprête à frapper.
Le magnifique travail de gravure du dessinateur, rehaussé d’un rouge pantone, restitue superbement chaque détail. Rien de tel que l’art pour dompter la peur du loup. Fabienne Jacob