31 août > Récit France > Philippe Rahmy

Voici un livre difficile à appréhender et à synthétiser, tant sa matière est riche, sa composition subtile, sa démarche très personnelle.

En 2016, l’écrivain Philippe Rahmy, auteur du très remarqué Béton armé (La Table ronde, 2013), s’est rendu en Israël, à Tel Aviv, Jérusalem, mais aussi dans quelques villages du pays profond, afin de "comprendre Herschel Grynszpan", un jeune Juif qui, réfugié à Paris, a assassiné en 1938 le diplomate allemand Ernst vom Rath. C’est cet attentat qui a déclenché en représailles la sinistre Nuit de cristal, alors que les nazis avaient ouvert les premiers camps de concentration et commencé à y déporter des Juifs. Pour Rahmy, hanté par la Shoah, face à l’état du monde actuel, "l’esprit des années 1930 revient", et "le fascisme renaît de ses cendres".

Parallèlement à cette quête, il retrace l’histoire de sa propre famille, de son père Adly, un Arabe égyptien tolérant, imprégné de soufisme, et de sa femme, Roswitha, une Allemande luthérienne, des paysans qui ont fait leur vie dans le canton de Vaud, au pied du Jura. Philippe, d’ailleurs, a la nationalité suisse. Son père est mort dans ses bras, fin 1983, autre date repère de son livre, alors que, jeune homme de 17 ans, "malade mais heureux", il était parti pour Paris, suivre les cours d’égyptologie à l’Ecole du Louvre, mais surtout découvrir les plaisirs du Quartier latin. Il abandonnera vite ses études pour l’écriture, la poésie, Rimbaud ou rien. Mais, en mourant, son père a laissé une énigme, une photo, marquée "Maman, Le Caire, 1913 ?".

Rahmy part alors à la recherche de ses grands-parents paternels, Ali, fermier égyptien venu à Genève acheter des vaches pour son exploitation de Minieh, et revenu avec Yvonne, sa femme, enceinte de leur fils. Après l’assassinat de son mari, en 1914, elle quittera le pays pour la Suisse et abandonnera son enfant. Dans cet arbre généalogique particulièrement métissé, il y a aussi Martin, l’autre grand-père, célèbre médecin nazi marié à Gertrud, une Juive convertie, dont la sœur, Charlotte, émigrera en Palestine.

Entre "l’Arabe de cristal" et le Juif polonais, dont on ignore s’il a survécu à la guerre, s’est établie une connivence par-delà le temps, une fraternité. D’autant que l’attentat contre vom Rath était en fait un crime passionnel, et que Rahmy lui-même a failli tuer en 1984 un diplomate russe qui avait voulu abuser de lui. Un autre secret, qu’il n’avait jusque-là confié à personne.

C’est l’une des multiples pistes de ce récit "rahmyfié", jamais manichéen, toujours empathique, généreux. En arabe, rahmy ne signifie-t-il pas "miséricordieux" ?

Jean-Claude Perrier

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