Avec Quatre par quatre (Rivages, 2015), son premier roman traduit en français, conte noir et entêtant, la sémillante Sara Mesa s’imposait comme une fabuliste, une déjà virtuose du conte cruel. Cicatrice, qui lui succède, ne fera que confirmer et peut-être amplifier cette impression première.
De quoi s’agit-il ? De demi-vérités, du réel qui se cherche pris dans les rets du contemporain, de la solitude et du pouvoir. Soit Knut et Sonia qui à force d’essayer de ne pas être ce qu’ils paraissent finiront peut-être par n’être pas du tout. Sonia est une jeune femme d’aujourd’hui. Elle travaille, ou s’en donne l’illusion, aux archives de sa ville. Elle vit encore avec sa mère. Son temps libre est consacré à la fréquentation de chats Internet qui vont l’amener à faire la connaissance, virtuelle, d’un certain "Knut Hamsun". Bientôt s’engage entre les deux une conversation ininterrompue - et qui restera longtemps virtuelle - à base de livres volés, d’échange d’argent aussi et de vampirisme plus réciproque qu’on le croit. Qui est Knut ? Que cherche-t-il ? Et que cherche vraiment cette Sonia trop transparente pour être honnête ? Le plus de chagrin possible ? Vivre, enfin ? Avec une grande habileté, Sara Mesa nous promène dans un monde de signes, désert, qui n’est déjà plus tout à fait le nôtre, celui de la société du spectacle comme celui de la consommation.
Bien entendu, nul ne saura vraiment qui fait l’ange, qui fait la bête, dans ce conte immoral où il n’est question que d’imposture, de troubles transactions, de la faute et de son expiation. Chacun perd pied à sa façon, mais un seul se noiera. Au fil des pages, Sara Mesa, avec une vraie virtuosité romanesque, resserre sa focale vers ses deux "héros", agités par le désir et leur incapacité à en assumer les conséquences. Le déni du réel peut parfois nous faire de beaux enfants. O. M.