Ils sont inséparables depuis la fin d’année dernière mais le duo que Pierre Dutilleul et Renaud Lefebvre forment à la direction générale du Syndicat national de l’édition (SNE) va cesser. A la fin du Festival du livre de Paris (du 21 au 23 avril 2023 au Grand Palais Ephémère), le second prendra entièrement la place du premier au 2ème étage du 115, boulevard Saint-Germain. C’est dans ce bureau où s’échangent nombres d’idées, solutions et conclusions au sujet du livre, qu’ils ont reçu Livres Hebdo, pour évoquer un peu le passé, mais surtout l’avenir du SNE. Entretien passation.
Livres Hebdo : Avant de diriger le SNE, vous avez chacun évolué dans des sphères différentes du livre. Avez-vous la même vision de la chaine du livre au regard de votre expérience ?
Pierre Dutilleul : J’ai en effet passé 27 ans chez Editis, mais j’étais finalement à la tête de plusieurs maisons d’édition qui avaient leur importance en termes d’image et de ce qu’elles représentaient, mais cela restait des PME dans la gestion quotidienne des maisons avec un cadre budgétaire commun. La sensibilité était aux petites structures, et c’est ce que j’ai retrouvé ici.
Renaud Lefebvre : C’est le même métier d’éditeur dans une petite structure ou au sein d’un grand groupe. Au sein du SNE, nous représentons l’ensemble des éditeurs. C’est important dans les commissions d’avoir une base représentative de la diversité éditoriale en France. Il y a un enjeu central à apporter un soutien et des services aux éditeurs quelle que soit leur taille. D’ailleurs, une grande partie du travail du SNE est d’apporter des clarifications sur des textes (directives, règlements, lois) toujours plus complexes et techniques. Ces informations sont plus utiles encore aux petites maisons qui ne disposent pas de ressources propres pour suivre ces sujets.
P. Dutilleul : Et notre travail va même plus loin que la simple défense de nos adhérents (720 en 2022, ndlr) car lorsque nous menons des combats à Bruxelles ou à Strasbourg, au niveau européen, nous pensons également aux éditeurs non-adhérents. C’est une de nos missions de ne jamais les oublier.
« Qui sommes-nous pour dire qu’il y a une bonne ou une mauvaise promotion de la lecture ? »
Un des sujets autant d’actualité que de fond est la relation auteurs-éditeurs. Comment l’améliorer ?
P. Dutilleul : Je n’ai aucun regret de mon action à la direction du SNE, si ce n’est de ne pas avoir totalement réussi à réduire la défiance entre auteurs et éditeurs. On a travaillé et progressé mais il reste encore beaucoup à faire pour renforcer la confiance entre éditeurs et auteurs…
R. Lefebvre : C’est un chantier majeur car l’éditeur n’existe pas sans les auteurs. Les discussions qu’on a eues ces dernières années vont dans le bon sens. Il faut tenir la distance car il reste à s’entendre sur des points qui représentent des enjeux économiques mineurs mais qui ont une grande importance symbolique. La mise en place d’une instance de médiation entre auteurs et éditeurs, mais aussi le projet de collecte de données de ventes en librairie doivent nous permettre de passer un cap décisif sur la transparence.
Comment percevez-vous le phénomène d’auto-édition qui semble prendre de l’ampleur ces derniers temps ?
P. Dutilleul : On s’intéresse à tout évènement qui émerge dans la chaîne du livre. Celui de l’auto-édition n’est pas une préoccupation pour nous. C’est intéressant de voir que certains grands auteurs vont découvrir le métier d’éditeur, et donc prendre des risques. Cela nécessite un savoir-faire. Ceux qui se lancent dans l’auto-édition sont d’abord passés chez des éditeurs. Aujourd’hui, on n’observe pas de nouveaux auteurs qui percent directement en auto-édition.
R. Lefebvre : C’est un phénomène positif qui contribue à la vitalité des auteurs. Après se pose la question de la professionnalisation de cette partie de l’édition. Parmi ces auto-éditeurs, une partie peut-être deviendront des éditeurs professionnels qui structureront leur activité, participeront à la démographie du secteur et à la régénération du tissu éditorial. Mais il leur faudra s’équiper des outils nécessaires à la gestion d’une petite structure, et surtout accéder à la diffusion en librairie qui est un point clé de la réussite dans l’édition.
Vous passerez définitivement la main après la deuxième édition du Festival du Livre de Paris. La transformation de ce rendez-vous important est-elle aboutie ?
P. Dutilleul : Une transformation peut en amener une autre ! Nous étions arrivés au bout d’un système à la Porte de Versailles. Nous avons pris des risques en prenant la main sur l’organisation de ce rendez-vous. La première édition en 2022 a été un succès malgré quelques critiques que nous avons entendues. On s’attend à un succès au moins équivalent en 2023, avant un changement de lieu -on espère au Grand Palais- en 2025.
R. Lefebvre : C’est essentiel pour le livre d’avoir un grand événement annuel à Paris. Le festival l’incarne bien avec un nouveau format de manifestation.
Faut-il conserver le partenariat avec Tiktok, le réseau social le plus prescripteur de livres auprès des jeunes mais décrié par de nombreux gouvernements ?
P. Dutilleul : Bien sûr, il faut le poursuivre ! Les critiques envers l’opérateur ne concernent pas l’impact de Tiktok sur la lecture auprès des jeunes aujourd’hui. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir des jeunes venir vers le livre par ce réseau social. C’est un outil de développement de la lecture formidable dont les représentants participeront d’ailleurs le vendredi 21 avril à une table-ronde avec Bibliothèque Sans Frontières et des responsables du Pass Culture sur la promotion du livre et de la culture auprès des jeunes aujourd’hui.
R. Lefebvre : Les enjeux géostratégiques nous dépassent. Notre enjeu, c’est le développement de la lecture. Qui sommes-nous pour dire qu’il y a une bonne ou une mauvaise promotion de la lecture ? Aujourd’hui, il est évident que ce n’est pas dans les pages littéraires des magazines que nous allons recruter les nouvelles générations de lecteurs…