1er septembre > Essai France

Frédéric Pajak avait décroché le prix Médicis essai en 2014 avec le troisième volume de son Manifeste incertain, ambitieuse entreprise au long cours entamée en 2012. La figure chérie de Walter Benjamin traversait les premiers volets de ces "récits écrits et dessinés", libre vagabondage en mots et en traits. Et c’est plutôt une surprise de voir Pajak s’attacher dans ce 5e tome à la star Van Gogh. L’écrivain lui-même s’en étonne en justifiant ce choix. "J’avais oublié Vincent", écrit-il avant de reconnaître : "Tout a été écrit sur Vincent. Mais j’ai besoin de vivre un peu à ses côtés, non pas de lui prêter ma voix, mais de me perdre en lui pour mieux le retrouver, et pour ne plus l’oublier, jamais."

Le récit est une biographie méticuleuse, qui déroule chronologiquement la vie chaotique du peintre, son tempérament atrabilaire, ses relations avec son frère cadet Théo, soutien moral et mécène, la phase mystique traversée dans sa jeunesse lorsqu’il était prédicateur chez les mineurs du Borinage en Belgique… Toute sa première vie, nordique, "dans sa terre noire, sous son ciel dégringolé de crachin, de mauvais vent, d’étoiles éteintes". Puis sa descente vers la lumière du Sud jusqu’à sa mort le 29 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise. Un suicide par balle qui inspire à Pajak des questions irrésolues. "Tout a été écrit"…, sans doute, mais l’écrivain dessinateur ne reconnaît pas seulement dans la personnalité tourmentée du peintre un frère en errance mélancolique, il instaure avec lui un compagnonnage d’artiste, s’attachant au langage pictural de Van Gogh, à la recherche de son "éloquence propre" : Rubens qui ouvre à la polychromie celui qui deviendra un coloriste fanatique, amoureux du contraste, le roseau de Camargue avec lequel "il ne se contente pas de changer d’outil : il change de vision et, ce faisant, il invente son dessin". Le geste de peindre vite, en une fois si possible et sur le motif, d’après nature, un parti pris qui lui importait plus que tout.

Comme toujours, les dessins de l’écrivain, s’ils sont solidaires, n’"illustrent" pas le récit. Jamais légendés, à l’exception d’une petite dizaine directement inspirés des œuvres de Van Gogh, ils racontent autre chose, de loin. A la fin du livre, visages et silhouettes désertent les cadres : il ne s’agit plus que d’arbres au bord de l’eau, de routes de campagne, de champs où claque le noir ténébreux de l’encre de Chine. Véronique Rossignol

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