Grand Prix des Librairies 2024

Rima Abdul Malak : « La librairie est le lieu culturel par excellence »

Rima Abdoul-Malak - Photo Olivier Dion

Rima Abdul Malak : « La librairie est le lieu culturel par excellence »

L'ancienne ministre de la Culture Rima Abdul Malak préside cette année le jury du sixième Grand Prix des Librairies de Livres Hebdo. Elle nous parle de son rapport singulier à la lecture et aux librairies et de ce qui l'a poussée à accepter de parrainer la cérémonie qui se déroulera le 16 juin prochain, dans le cadre des Rencontres nationales de la librairie organisées par le SLF à Strasbourg, capitale mondiale du livre 2024. Interview.

Par Propos recueillis par Jacques Braunstein
Créé le 21.05.2024 à 16h34 ,
Mis à jour le 27.05.2024 à 09h42

Quelle a été l’importance du livre et des librairies dans votre parcours ?

Énorme ! C’est dans mon enfance, au Liban, en pleine guerre civile, que j’ai découvert les livres. Sans l’accès à la lecture, je ne sais pas comment j’aurais survécu à ces années. C’était pour moi un refuge, une échappatoire, une ouverture sur un autre monde. L’apprentissage d’une nouvelle langue également. Le français n’était pas ma langue maternelle mais celle qu’on apprenait à l’école. La librairie Antoine à Beyrouth était le seul lieu culturel auquel nous pouvions aller pendant la guerre. C’était une sortie en famille que j’attendais avec impatience ! On restait des heures à regarder les livres, les magazines, et on repartait avec une pile de lectures. Lire a tout de suite été la clef pour ouvrir mes horizons. Et ça l’est resté toute ma vie.

D’où l’importance de la librairie pour vous, sujet sur lequel vous avez travaillé ensuite de diverses manières…

C’est le lieu culturel par excellence. L’accès à la lecture ouvre ensuite à tous les autres champs de la culture. C’est aussi le chemin vers l’altérité : comprendre les autres, ce qui nous réunit, ce qui nous différencie… Quand j’étais attachée culturelle à New York, ces années ont correspondu avec les premières années d’ouverture de la librairie Albertine, la seule librairie française qui existe à New York aujourd’hui. François-Xavier Schmit, fondateur de la librairie l’Autre rive à Toulouse, en a été le premier libraire. C’était très important de pouvoir défendre le livre en langue française auprès des Américains, mais aussi les traductions de notre littérature en anglais. J’ai pu voir au quotidien ce qu’implique le métier de libraire, de la gestion des stocks à l’organisation de multiples animations, j’ai une immense admiration pour cette profession !

« Tout est lié : la lecture à l’école, dans les bibliothèques, les librairies, sur les lieux de travail, dans tous les espaces de la vie »

Avant de partir à New York, j’avais travaillé à la Mairie de Paris auprès de Christophe Girard puis Bertrand Delanoë. La place de la librairie dans la ville, était cruciale pour nous. Nous avons développé leur installation au pied des immeubles dans des locaux appartenant aux bailleurs sociaux de la Ville. La lecture publique était aussi une grande priorité. Car pour moi tout est lié : la lecture à l’école, dans les bibliothèques, les librairies, sur les lieux de travail, dans tous les espaces de la vie en fait. Ce combat pour la lecture publique a été très exaltant au cours de mes années à la Mairie de Paris : rénover des bibliothèques, construire de nouvelles médiathèques, étendre les horaires d’ouverture. L’ouverture le dimanche n’a pas été facile à obtenir mais on y est finalement arrivé pour une dizaine de bibliothèques. Les nouvelles médiathèques étaient de véritables lieux de vie très agréables, leur succès a été immédiat et se poursuit encore aujourd’hui. Ma préférée est la médiathèque Marguerite-Duras à porte de Bagnolet. Quand il m’arrive d’y passer le dimanche, je constate à quel point elle est fréquentée par toutes les catégories de la population, à quel point elle est vivante et fédératrice. A chaque fois, j’en ai la chair de poule. Son inauguration restera une des grandes émotions de mes six années à la Mairie de Paris.

On a pourtant parfois l’impression que le livre demeure le parent pauvre des politiques culturelles.

C’est une filière privée. Mais le Centre national du livre joue un rôle crucial pour soutenir la diversité, à la fois des auteurs, des éditeurs et des libraires, mais aussi un maillage extraordinaire de festivals et manifestations littéraires. En réalité, le livre est au cœur de toute la politique culturelle de l’Etat comme des collectivités. Quand le Pass culture a été lancé, personne n’imaginait que les premiers achats des jeunes seraient les livres. Or, du premier jour jusqu’à aujourd’hui, c’est bien le livre qui arrive en tête. Pas seulement les mangas, et même de moins en moins les mangas. Beaucoup de jeunes ont découvert leur librairie en allant acheter des mangas avec leur Pass culture et y sont retournés depuis pour d’autres livres.

« Cette priorité pour le livre est même parfois pointée du doigt par d’autres secteurs culturels qui se sentent parfois moins soutenus »

Le premier cadeau offert par les Français à Noël reste le livre. Cela montre l’importance qu’il a dans nos vies. On retrouve la même importance dans la politique culturelle, il est central. Pendant la pandémie de Covid, j’étais la conseillère culture du président de la République. Avec Franck Riester puis Roselyne Bachelot, un plan de soutien massif a été mis en place pour la filière du livre puis un plan de relance. Et la lecture est devenue une grande cause nationale en 2021-2022. Cette priorité s’inscrivait dans la dynamique des premières années du mandat d’Emmanuel Macron, avec notamment l’accent mis sur les bibliothèques, avec le rapport d’Erik Orsenna et Noël Corbin « Voyage au pays des bibliothèques » qui a fait date, préconisant d’ « ouvrir plus » et d’ « ouvrir mieux ». Cette priorité pour le livre est même parfois pointée du doigt par d’autres secteurs culturels qui se sentent parfois moins soutenus. Hors de nos frontières, notre politique du livre est très identifiée. La France reste un modèle, avec sa loi sur le prix unique notamment.

Une loi qui demeure le pilier de la politique culturelle du gouvernement ?

C’est l’un de ses piliers, une loi fondamentale qui a permis de déployer ensuite tout une politique de soutien à la diversité. Partout où je suis allée à l’étranger, j’ai vu à quel point cette politique était enviée. Il est bien sûr toujours possible de faire mieux, mais regardons le nombre de bibliothèques et de points de lecture (16 000 sur le territoire), le nombre de librairies qui continuent à ouvrir (142 nouvelles créations en 2022), le nombre et la popularité des manifestations littéraires et des salons partout sur le territoire, l’appétit de lecture des Français par rapport à d’autres pays, les multiples aides qui existent au niveau local comme au niveau national…

« Le livre est un enjeu qui fédère au-delà des clivages politiques »

On a un écosystème absolument fantastique, qu’il faut préserver, notamment de l’hégémonie des plateformes – Amazon en tête – et continuer à développer. C’est pourquoi l’adoption de la proposition de loi de la sénatrice Laure Darcos, soutenue par le gouvernement, était si importante. Elle va permettre de réduire autant que possible les distorsions de concurrence en matière de livraison entre les géants de l’e-commerce et les libraires indépendants. J’ai pu constater à quel point les parlementaires sont très investis sur les sujets touchant à la filière du livre. Tout comme les collectivités locales à tous les échelons. C’est un enjeu qui fédère au-delà des clivages politiques.

La ministre de la Culture Rima Abdul-Malak lors de l'ouverture des 6e Rencontres nationales de la librairie à Angers, le 3 juillet 2022.
La ministre de la Culture Rima Abdul-Malak lors de l'ouverture des 6e Rencontres nationales de la librairie à Angers, le 3 juillet 2022.- Photo OLIVIER DION

On a la vision peut-être un peu caricaturale d’un gouvernement qui doit arbitrer entre la start-up nation (le milieu de la tech, Amazon, l’IA…) et les industries culturelles, l’édition, les librairies. C’est ainsi ça que ça se passe au jour le jour ?

C’est toujours plus complexe… Et Emmanuel Macron est le chantre du « en même temps » ! Il considère qu’il est tout à fait possible de soutenir l’innovation, l’emploi, la compétitivité de nos entreprises, tout en préservant l’écosystème des acteurs culturels indépendants, à qui il a toujours accordé une attention particulière. Il a toujours été attaché à cette « biodiversité » du livre, mais aussi au droit d’auteur, qui est fondamental dans notre modèle culturel. L’engagement du Président a permis l’adoption de la directive européenne sur le droit d’auteur en 2019, directive historique pour mieux protéger les auteurs.

« Si on parvient à mettre en place le quart d'heure de lecture dans toutes les écoles de France, on peut changer le monde ! »

Aujourd’hui, le défi auquel nous devons tous faire face c’est celui de l’addiction aux écrans, avec un temps de plus en plus long passé sur les réseaux sociaux. Enfants, jeunes ou adultes, c’est le même fléau. Comment donner envie de lire dans ce contexte ? Et ensuite entretenir la flamme de la lecture ? Imagine-t-on vivre demain dans une société où l’on serait incapable de se concentrer plus d’une minute sur quelque chose ? C’est le défi du siècle, un enjeu de civilisation.

Vous semblez très attachée au quart d’heure de lecture ?

Oui car c’est incroyablement efficace ! Le quart d’heure de lecture est né d’une initiative de l’association « Silence on lit » puis a été développé par le recteur de Bretagne puis par tous les Rectorats. C’était l’un de mes principaux combats de ministre de la Culture en lien avec Pap Ndiaye puis Gabriel Attal, ministres de l’Éducation nationale. Généraliser cette initiative ne demande pas beaucoup de budget, mais une forte impulsion et beaucoup de coordination. Tout le monde doit jouer le jeu : les directeurs d’établissements, les enseignants, tout le personnel éducatif. Et j’insiste sur le mot « plaisir ». Cette lecture de 15 minutes n’a pas d’autre objectif que le plaisir et l’élève peut choisir ce qu’il veut. Si on parvient à le mettre en place dans toutes les écoles de France, on peut changer le monde ! Faire découvrir le plaisir de lire, celui qui fait qu’on ne lâche pas le livre à la quinzième minute et qu’on a hâte d’y revenir le lendemain. Créer un nouveau rituel. Chez les élèves qui y parviennent, les changements sont phénoménaux au bout de quelques semaines : progrès du vocabulaire, meilleure concentration, amélioration de l’écoute, baisse de la violence, développement de l’imagination… La lecture permet de se créer un espace à soi, un monde intérieur tout en aidant à se relier aux autres.

« J’aimerais reprendre le Rima poésie club »

Votre successeuse, Rachida Dati, a mis au centre de ses premiers discours la ruralité. C’est un sujet qui a été trop peu soutenu jusque-là ?

C’est extrêmement important, dans la continuité de ce que de nombreux ministres, moi compris, ont porté. La lecture grande cause nationale, c’était justement partout, dans tous les territoires. Le Pass culture a été conçu pour toucher tous les jeunes de France. Des dispositifs spécifiques ont été mis en place pour les jeunes ruraux pour qui les difficultés de transport sont réelles. Le CNL soutient l’implantation de librairies en milieu rural, tout comme des manifestations littéraires. Je pense par exemple au festival Lectures sous l’arbre à Chambon-sur-Lignon, une commune de 2 300 habitants. En dehors du champ du livre, les zones rurales ont été une priorité de toutes nos politiques : pour le développement des musées numériques que sont les Microfolies, pour le Plan Fanfares ou encore pour le soutien aux métiers d’art. Je pourrais aussi citer le fonds incitatif pour le patrimoine qui a concerné en majorité des petites communes. Ces politiques existent et je me réjouis qu’elles puissent être amplifiées, étendues et valorisées davantage. 

On connaît votre amour du livre et de la poésie. Et en conséquence, on se demande quels sont vos projets, s’ils ont un lien avec l’édition, la librairie ?

Je vais continuer à lire, c’est certain ! Et j’ai aujourd’hui plus de temps pour le faire. Pour le reste, je suis dans une phase d’exploration qui prend son temps. Les métiers du livre me passionnent, mais est-ce qu’un jour je m’orienterai vers eux ? Je ne le sais pas. Une chose est sûre : j’aimerais reprendre le Rima poésie club. Je travaille à l’idée de le poursuivre ailleurs, autrement, et de continuer à partager ma passion de la poésie.

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