Fin août, Maurice Dantec attaquait son éditeur, Ring, aux fins de bloquer la parution de son dernier roman, Satellite Sisters. L'écrivain plaidait qu'il avait signé les contrats litigieux dans un état « d'affaiblissement majeur de ses capacités de jugement » et produisait au juge des référés des éléments médicaux. Mais celui-ci relevait, pour débouter l'auteur sans avoir à se prononcer sur leur contenu, que ces contrats étaient paraphés et signés ; et que la volonté de l'auteur de voir son ouvrage publié par cet éditeur était corroborée par la délivrance du bon à tirer et la participation de l'auteur à la présentation de son livre, en particulier à la presse. Au passage, le magistrat soulignait que ce consentement persistant s'était manifesté malgré la transformation des relations amicales en relations d'affaires. Rappelons à cette occasion que le contrat d'édition possède un statut très particulier au sein des contrats relatifs au droit d'auteur. Le législateur, dans un souci de protection des auteurs, s'est en effet attaché à limiter la liberté contractuelle des éditeurs et à entourer la conclusion d'un contrat d'édition de nombreuses conditions. Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) consacre une section entière aux règles propres au contrat d'édition. L'ensemble de cette législation a de surcroît été grandement interprété et aménagé par la jurisprudence. Il en résulte aujourd'hui que le contrat d'édition suit un régime très dérogatoire du droit commun des contrats L'article L. 132-7 du CPI dispose : « Le consentement personnel et donné par écrit de l'auteur est obligatoire. « Sans préjudice des dispositions qui régissent les contrats passés par les mineurs et les majeurs en curatelle, le consentement est même exigé lorsqu'il s'agit d'un auteur légalement incapable, sauf si celui-ci est dans l'impossibilité physique de donner son consentement. « Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables lorsque le contrat d'édition est souscrit par les ayants droit de l'auteur. » Deux conditions primordiales se détachent de cet article : un consentement personnel de l'auteur et un consentement écrit. L'exigence d'un consentement personnel est si forte qu'elle s'applique même à ceux à qui le Code civil dénie traditionnellement la capacité de conclure par eux-mêmes un contrat : mineurs, majeurs en tutelle, en curatelle ou sous sauvegarde de justice. Mais il ne faut pas oublier qu'un tel auteur étant juridiquement incapable, son représentant légal doit également donner son consentement. L'absence d'un des deux consentements suffit à exposer l'éditeur à une possible annulation du contrat. Seules deux situations permettent à l'éditeur de se dispenser du consentement personnel de l'auteur. Il s'agit, d'une part, de l'impossibilité physique par l'auteur de donner son consentement : l'absence - au sens juridique du terme, c'est-à-dire la constatation en justice de la disparition d'une personne - en est une parfaite illustration. D'autre part, une fois l'auteur décédé, ses ayants droit ont bien entendu le droit de conclure personnellement, mais peuvent également se faire représenter par un mandataire. Le consentement au contrat d'édition doit aussi être écrit. Il s'agit là d'une formalité de preuve, importante certes, mais qui n'affecte en rien la validité même du contrat. Ainsi, l'article L. 131-2 du CPI précise-t-il que « les contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. » Toutefois, l'article L. 131-3 du CPI, en son deuxième alinéa, assouplit quelque peu l'exigence de l'établissement du contrat d'édition par écrit : « Lorsque des circonstances spéciales l'exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du premier alinéa du présent article » . Outre les désuets télégrammes, les lettres et autres courriels de l'auteur sont également admis de nos jours par les tribunaux. En l'absence de contrat écrit, la publication pourra être qualifiée de contrefaçon. En effet, l'éditeur s'expose à être dans l'incapacité de prouver qu'il a contracté avec l'auteur. Aucun autre mode de preuve n'est en théorie admis au bénéfice de l'éditeur : témoignage, présomption (telle que la remise du manuscrit), etc ; et aucune circonstance particulière ne pourra jouer en faveur de l'éditeur (signature du contrat par un mandant de l'auteur, impossibilité physique pour l'auteur de signer...). Ainsi, un éditeur, dans l'impossibilité de démontrer l'existence d'un contrat pour un livre d'entretiens avec un prix Nobel, n'a-t-il pu agir contre un confrère que pour concurrence déloyale et non pour contrefaçon. Toutefois, des juges ont déjà reconnu qu'un écrit n'était pas exigible lorsque l'auteur avait été lui-même le dirigeant de la maison d'édition familiale. En réalité, le consentement écrit n'est exigé par la loi que pour protéger l'auteur lui-même. Si l'éditeur ne peut prouver le contrat d'édition que par la production d'un écrit, l'auteur peut de son côté librement prouver l'existence d'un contrat à l'aide de témoignages et autres moyens de preuve. L'auteur reste soumis au seul régime de l'article L. 110-3 du Code de commerce qui affirme le principe de liberté de la preuve contre tout commerçant (en l'occurrence l'éditeur). Enfin, le contrat d'édition écrit se doit de ne pas différer des propositions qui ont été initialement faites à l'auteur et sur la base desquelles il avait accepté de contracter. De même, le contrat d'édition pourra être interprété à la lumière des correspondances qui l'auront suivi. La correspondance peut aisément compléter les termes d'un contrat ou même les modifier. L'éditeur ne doit jamais oublier qu'en matière de contrat d'édition la majeure partie de la législation et de la jurisprudence a été élaborée dans l'intérêt des auteurs. 
15.10 2013

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