Douce France. Une charmante petite bourgade comme il en existe de si nombreuses en notre douce France, cher pays de tant d'offenses. Douce fange aussi, où l'on braque à droite toute à la moindre élection. Où le moindre étranger est le potentiel ennemi. Voilà pour le décor bucolique et nauséeux. L'unique intrus recensé en la paisible commune de Saint-Piéjac est cette fois un citoyen britannique : ce qui suffit à faire de lui la cible des suspicions et des regards torves.
De Sébastien Gendron, il est impossible d'attendre l'évidence et le cartésien. Pas la peine non plus de s'inquiéter d'un quelconque risque d'ennui. Que des bonnes nouvelles donc générées par la parution de ce Chevreuil qui, après une introduction animalière un poil hors sujet rappelant le déjanté Fin de siècle (Gallimard « Série Noire », 2020) du même auteur, entonne avec les mêmes refrains pagailleurs les déboires du Rosbif Connor Digby, soit une partition à la fois pétillante et goguenarde, riche et aisément loufoque. Drôle et acide de fait, l'histoire reprend les chemins vicinaux d'un précédent Chez Paradis (Gallimard « Série Noire », 2022), sorte de version « rififi chez les ploucs » de L'été en pente douce de Pierre Pelot, avec un autre casting en vase clos, genre de basse-cour sous l'effet d'un gaz hilarant costaud. Ça, pour être gâtés, les personnages de Chevreuil le sont au centuple : de la tapageuse Marceline, débarquée en fanfare dans les pénates de Connor, à Kim, la cantonnière azimutée et narratrice épisodique des plus navrants chapitres. Édiles, nobliaux, petits commerçants ou poivrots de l'ombre, il n'y en a pas un pour relever le niveau intellectuel de la clique villageoise, comme la piquette du même nom. Et la température de ces pauvres neurones éméchés monte encore d'un cran lorsque l'ex de Marceline et deux flics aux ordres pointent le bout de leurs groins. Sur les échelles de Richter et de la bêtise, l'éconduit Damian Cescu n'est pas un séisme pire que les autres cahots du cru. Mais côté dangerosité, ses répliques annoncent un possible cataclysme dont Connor se serait volontiers passé. S'appeler Connor, OK, ça passe. De là à devoir endosser les fripes de la Sarah Connor de Terminator, il y a un pas de géant que mister Digby, auteur de gentilles histoires pour marmots, n'avait pas envisagé. À ce propos, doit-on avouer que Sébastien Gendron publie lui aussi d'excellents romans pour la jeunesse du même acabit fantasque que ses uppercuts noirs... Est-il bien raisonnable de laisser cet individu et son pernicieux talent animer et pervertir ainsi les récréations et les zygomatiques de nos chères têtes blondes ?
En attendant de statuer, Saint-Piéjac s'embrase sous l'œil d'un bestiaire médusé où le cochon se prénomme Ludwig et le chevreuil Il Duce. Même La Fontaine se gondole. Ce qui n'est pas le cas d'autres dindons et protagonistes de la farce. Qu'ils revendiquent une femme ou une bagnole, ce qui frise l'équivalence dans ce genre de cerveaux rétrécis, tous ont Connor en ligne de mire. Ça s'agite de toutes parts et n'importe comment jusqu'à fissurer la structure même d'un livre rejouant la guerre de Cent Ans, à cent à l'heure, en s'en foutant surtout. Bref, c'est le cirque. D'ailleurs, il y a également un cirque érigé sur la place centrale de ce ring absurde, grinçant et truculent, jouissif et parfaitement fréquentable au bout du « conte ».
Chevreuil
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 € ; 338 p
ISBN: 9782073000613