C'est une fresque de près de 900 pages, d'une ampleur et d'une densité exceptionnelles, un classique de la littérature italienne d'après-guerre, le grand œuvre de Dolores Prato (1892-1983), sa Recherche du temps perdu, dont Verdier propose la traduction inédite, deuxième titre en français de l'écrivaine italienne, après Brûlures, une longue nouvelle parue chez Allia en 2000.
Bas la place y'a personne,qui tire son titre d'une comptine tronquée, est un récit d'apprentissage, l'éveil de la conscience d'une fillette entre 3 et 10 ans, dans la très catholique Italie rurale du tournant du XXe siècle. Alors que ce texte, entamé dans les années 1960, a été achevé à la fin des années 1970, il ravive avec une méticulosité anthropologique le monde ancien, conservé dans ses moindres détails dans les souvenirs d'une enfant abandonnée par sa mère et recueillie par des cousins qu'elle appelle « les oncles ». Il s'agit en réalité d'un prêtre et de sa sœur célibataire qui vivent à Treja, une petite ville des Marches. « Nous, nous commençons à être avec le premier souvenir que nous rangeons dans notre magasin. Le lieu où l'on eut les premières alertes de la vie devient nous-mêmes. Treja fut mon espace, le panorama qui l'entoure, ma vision : terre du cœur et du rêve. »
Le récit, qui avance par correspondances et associations, décrit une enfance sans attention et sans marques d'amour dans le foyer modeste de l'oncle, « lumineux et illuminant », admiré pour sa bonté sans démonstration et ses multiples talents, qui émigrera en Argentine, et de la tante à « l'indomptable passion pour l'élégance » qui n'a aucune patience avec les enfants. Isolée dans une communauté d'adultes, élevée « sans engrais, ni soutien », la petite fille s'habitue à se faire oublier. « Personne ne se souciait de moi. J'avais la sensation d'être comme un tabouret pas à sa place. » Elle observe sans poser de questions, tente de saisir et de tout comprendre seule, en arpentant la géographie intérieure et extérieure de son univers singulier. D'autant plus réceptive aux choses qui le peuplent, à la vie matérielle, aux rituels religieux et sociaux autant que domestiques : « le jour du tue-cochon », la préparation des conserves de tomates, le rôle des objets dans la cuisine, l'étoffe des robes de la tante, les paillasses des lits, la lumière filtrée par les persiennes ou les bûches de la cheminée.
Avec sa langue si moderne, son flux au plus près de l'expérience originelle, Bas la place y'a personne « n'est pas à proprement parler un roman mais plutôt un long ruban narratif », soulignent les traducteurs Laurent Lombard et Jean-Paul Manganaro en postface, rappelant que la première édition établie en 1980 par Natalia Ginzburg chez Einaudi avait amputé des deux tiers le manuscrit, par ailleurs réécrit. Dolores Prato avait alors déjà 88 ans. En 1997, quand paraît enfin le texte intégral, son auteure, cette petite fille « née sous une petite table », comme le dit la première phrase du récit, n'était plus là pour le relire.
Bas la place, y a personne - Traduit de l’italien par Laurent Lombard et Jean-Paul Manganaro
Verdier
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 35 euros ; 896 P.
ISBN: 978-2-86432-992-3