4 janvier > Histoire France > Ludivine Bantigny

Le cinquantenaire de Mai 68 intéressera-t-il davantage que le centenaire d’Octobre 17 ? L’ouvrage de Ludivine Bantigny, tiré de son habilitation à diriger des recherches, a le mérite de se saisir des événements autrement. Elle les retrace, mais elle élargit son propos à la province et même à l’international. Sous les pavés, il n’y avait pas que la plage. Il y avait surtout comme un ras-le-bol d’une période qualifiée de "Trente Glorieuses" mais d’où l’espoir semblait absent. "Quelque chose nous est arrivé", disait le philosophe Michel de Certeau. Ludivine Bantigny a voulu en savoir un peu plus sur ce quelque chose, au-delà des faits connus, ressassés et proclamés comme une chanson de geste figée dans l’éternité des combats perdus.

En explorant les archives, notamment en province, elle dévoile ce qui se cache derrière ces mots qui furent les vrais drapeaux de 68. Ils ont pris la parole, là où ceux de 89 avaient pris la Bastille. Des slogans comme "Arrêtez le monde, je veux descendre" ne peuvent se comprendre sans Berkeley, Prague, Varsovie, Berlin, Louvain, Cuba, la guerre du Vietnam ou le souvenir de Charonne.

Responsable du master sciences historiques à l’université de Rouen Normandie, Ludivine Bantigny montre ce qui se tisse entre les étudiants, les ouvriers et les agriculteurs. Les revendications sont différentes, mais les espoirs convergent, même si Benoît Frachon, président de la CGT, n’y voit que des "grues métaphysiques". Mai 68, ce fut un cortège d’émotions derrière des barricades de désirs, la conquête de l’espace urbain et industriel, l’occupation des facs et des usines. Cette rébellion suscita une réaction, souvent violente, d’un pouvoir fatigué, d’où la haine ne fut pas absente, comme en témoignent les discours d’un Maurice Druon.

La jeune historienne appelle à ne pas se débarrasser trop vite de Mai 68. Nombre de vies ont été changées après. C’est sans doute là, dans cette transformation des esprits, des habitudes, dans les relations avec les autres que se trouve le "quelque chose" de Michel de Certeau qu’il est si difficile de cerner

Ludivine Bantigny ne cache pas son empathie pour son sujet et ses protagonistes. "J’admire leur courage, leur détermination, leur rire et par-dessous tout leur grand désir de changer, au moins un peu, le monde tel qu’il est. Je me sens de leur côté." Cette empathie ne l’empêche pas, bien au contraire, de nous faire redécouvrir cette vague contestatrice que l’on croit connaître et dont nous ne percevons encore que l’écume.

Laurent Lemire

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