Roman/France 16 janvierFrançois Taillandier

C'est donc une photo. Une photo de classe, probablement. Un petit garçon de sept ans fixe l'objectif avec cet air méfiant de ceux qui ne veulent pas s'en laisser conter par les fariboles du jour. Chaussures de crêpe, blouson de saison, coupe au bol, c'est un enfant du temps jadis qui s'avance ainsi en scène. De ces années 1960 qui en province ignoraient encore qu'elles n'étaient plus 1950. Un enfant de France. Ç'aurait pu être une petite fille rousse du Gers ou d'ailleurs, c'est un garçon de Clermont. Qui ne sait pas encore ce que son regard pourtant dévoile déjà : il sera écrivain. Et tournera sans cesse autour de la photo avant d'en faire un livre ; l'un des plus beaux assurément de ceux de François Taillandier. Ce François, roman, gracieuse mise en perspective de soi à soi, de l'adulte vers lui, vers l'enfant, éternellement le même, éternellement un autre.

« Le garçon de sept ans (mais ce n'était certes pas votre faute) a donné sa force à l'homme que je suis devenu. Je lui dois tout, à ce François de sept ans. Moi je n'y suis pour rien, c'est lui, le François de la photo, qui détient dans son regard grave et ferme le secret de toutes mes ténacités, de mes obstinations, de mes solidités. Qui sait où sont nos revanches ? »

Il le sait bien Taillandier, après Barthes, qu'« il n'est pays que de l'enfance ». Alors bien sûr, il y a l'Auvergne, les parents, grands-parents, les vieilles tantes, les greniers des maisons de famille. Il y aura les livres, les mots, les amours. Un pays qui se croit de toute éternité et qui n'est déjà plus tout à fait là. François Taillandier porte son style à la hauteur de sa réflexion pour un exercice d'une étonnante douceur introspective. Dans le genre, on ne peut que songer au merveilleux A côté, jamais avec de Jean-Marc Parisis (Lattès, 2016). Au fond, s'il est si troublant, le regard porté par cet homme sur l'enfant qu'il fut, c'est d'abord parce que la réciproque est vraie. Lorsque François regarde François, c'est l'enfant de sept ans qui observe le sexagénaire qu'il est devenu. Ce sont ses choix, ses joies, ses manques qui passent au tamis de cette infinie interrogation. Il faut une certaine audace pour écrire cela, le sens de la beauté et celui de l'incertitude de soi. Nulle déploration ici, mais l'infinie reconnaissance de ce qui le fonde, de cette dette contractée à jamais avec soi et les siens. Après tout, « le siècle avait passé au loin comme une rumeur de charrois et d'orages, ne laissant dans les mémoires que les inquiétudes de la guerre, et dans les tiroirs que le menu d'un mariage ancien et des cartes postales venues de Paris, de Rome ou même de Royat ». Et à la fin, l'écrivain rejoint l'enfant. Dans l'irréfragable beauté altière du souvenir.

François Taillandier
François, roman
Stock
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19 euros ; 272 p.
ISBN: 9782234081727

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