Depuis ses débuts en 1991 avec sa série de mini-comics Optic Nerve, parfois d'inspiration autobiographique, l'Américain Adrian Tomine est passé maître dans l'art de raconter les problèmes relationnels des jeunes gens, avec une justesse et une concision qui pourraient trouver leur équivalent en littérature chez Raymond Carver. C'est sur lui-même qu'il se penche cette fois, et, comme Yoshihiro Tatsumi ou Boulet avant lui, il consigne dans des récits de quelques pages ses souvenirs d'auteur de bande dessinée.
Il commence par ses premiers souvenirs de geek, quand tout petit déjà, il se faisait maltraiter par des camarades indifférents à sa passion pour les comics. Il passe ensuite en revue quelques moments clés du début de sa carrière - premières participations au Comic-Con de San Diego, première tournée promotionnelle... -, avant de revenir sur les tribulations de l'auteur reconnu qu'il est devenu. Adrian Tomine met son ego à nu et ne se montre pas sous son jour le plus flatteur. Ses - légitimes - moments d'excitation et de fierté, comme quand il voit un type porter un T-shirt à l'effigie de ses mini-comics, sont vite contrebalancés par des moments moins glorieux voire humiliants. Ses séances de dédicace n'attirent pas les foules, les critiques ne sont pas toujours bonnes, d'anciens amis lui reprochent d'avoir signé chez un gros éditeur, on ne le reconnaît jamais, voire on le confond avec d'autres auteurs... De quoi nourrir son pessimisme, ses doutes et sa tendance à l'autodépréciation.
La force de ses récits tient dans leur narration parfaite. Comme toujours chez lui, les chutes sont inattendues et drôles, jusqu'à l'habile mise en abyme finale. Les réflexions sont subtiles, beaucoup de choses sont simplement suggérées. Sous couvert de raconter sa carrière, c'est toutes sa vie et son intimité qu'il déroule ici sans en avoir l'air. En filigrane des interviews ratées et autres dédicaces laborieuses, on comprend sa relation avec sa femme et ses enfants, l'usure du temps, sa peur du regard des autres, de l'échec. Il arrive même à faire passer, en une ou deux cases, des problématiques sociales comme le coût des soins aux États-Unis. Un album cathartique, d'une finesse rare.
La solitude du marathonien de la bande dessinée Traduit de l'américain par Jean-Baptise Bernet
Cornélius
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 23,50 € ; 168 p.
ISBN: 9782360811847