Stine Pilgaard, "Le pays des phrases courtes" (le bruit du monde) : Une fille désorientée

Stine Pilgaard - Photo © Alexander Banck-Petersen

Stine Pilgaard, "Le pays des phrases courtes" (le bruit du monde) : Une fille désorientée

<b>Stine Pilgaard</b> fait son apparition dans notre paysage littéraire avec un roman aussi hilarant que redoutablement juste.

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Par Olivier Mony,
Créé le 15.05.2022 à 13h00

Le Jutland est la péninsule continentale du Danemark, une terre aussi splendide que presque uniformément désolée. Un lieu de vieilles batailles, de dunes, d'éoliennes et de retrait du monde. Tout au moins de son bruit inutile, voire de sa fureur. Encore faut-il vouloir s'en extraire et être prêt à payer le prix d'une certaine solitude. Et ce n'est pas nécessairement le cas de l'irrésistible héroïne du Pays des phrases courtes, le troisième roman de la jeune autrice Stine Pilgaard, mais le premier traduit en français.

Le livre débute alors que son héroïne, qui en est aussi la narratrice, quitte Copenhague pour le bourg de Velling, à l'ouest du Jutland. Elle ne fait qu'y suivre son compagnon enseignant qui a été nommé dans une école alternative, plus ou moins de type Montessori. Le couple a un enfant en bas âge dont le babil incessant à base de « meuh » répétés ad nauseam ne parvient pas tout à fait à combler le besoin d'interactions sociales de sa mère. Isolée au sein d'une communauté dont elle peine à comprendre les codes, la jeune femme s'emploie bravement à les acquérir mais n'est pas toujours à l'abri de grands moments de découragement. Elle combat tout de même son désœuvrement sur tous les fronts possibles, dont deux vont se révéler particulièrement cruciaux : l'auto-école − où son incapacité à apprendre à conduire méduse tous les moniteurs de l'établissement et a pour mérite de lui offrir enfin, parfois, de vraies conversations −, et le courrier des lecteurs du journal local, rubrique dont, en quête d'un emploi autant que d'une occupation, elle assume la charge. Là, les problèmes des autres lui offrent d'utiles contrepoints aux siens.

On l'aura compris, si l'héroïne de Stine Pilgaard jongle plus ou moins adroitement avec la dépression, rien dans ce Pays des phrases courtes n'incite toutefois à la mélancolie. Ce roman est en effet aussi hilarant que brillant. La romancière y déploie un humour d'autant plus efficace qu'il n'est jamais cruel et pose sur tous ses personnages un regard authentiquement tendre et compassionnel. Ce serait donc l'histoire d'une fille désorientée dans un monde dont elle ne parvient pas à comprendre qu'il est d'abord régi par les exigences de la nature et du présent. Et à l'heure où, partout en Occident, les habitants des métropoles rêvent de plus en plus nombreux à un retour à la terre, ce roman pourrait bien être plus utile à la compréhension de ce phénomène que nombre de traités de sociologie. Après tout, aider à habiter le monde n'est-ce pas l'une des tâches essentielles assignées à la littérature ?

Stine Pilgaard
Le pays des phrases courtes Traduit du danois par Catherine Renaud
Le Bruit du monde
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 22 € ; 304 p.
ISBN: 9782493206114

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