En amour, quand c’est improbable, on se dit que c’est toujours possible. Pis, plus c’est improbable, plus cette frêle possibilité semble désirable. Aux yeux des amants tout étourdis par leur rencontre, tout se passe comme si ce hasard avait été inscrit : on va s’aimer contre vents et marées. Rachel et Pierre, c’est un peu cela, une combinaison de magie et de fatalité. Châteauroux à la fin des années 1950. D’origine provinciale, elle a 26 ans et est employée à la Sécurité sociale depuis des années ; lui, parisien, d’une famille qui habite le 17e arrondissement depuis des générations, est venu travailler comme traducteur à la base américaine de la région ; elle a vécu avec sa mère et n’a connu que tard ce père qui a abandonné le foyer, lui a une admiration sans bornes pour le sien, directeur chez Michelin. Un amour impossible, le nouveau roman de Christine Angot, prend pour protagonistes les parents de l’écrivaine. Deux milieux, donc, et deux physiques a priori peu accordés. Elle est très jolie, lui pas le canon de la beauté de l’époque : taille moyenne, plutôt maigre, "les yeux un peu globuleux, des verres de lunettes épais, […] pas soucieux d’élégance vestimentaire"… Mais, des goûts du jour, Rachel se contrefiche : "Ses amies ne comprenaient pas ce qu’elle lui trouvait. Leur incompréhension l’amusait. Elle était donc seule à comprendre sa séduction." Seule à comprendre, car seule dans cette ville où elle se sentait comme "exilée". Si les histoires d’amour tiennent parfois du salut, à savoir la volonté de se sauver ou de sauver l’autre - un désir de se projeter dans l’éternité -, la beauté de la leur appartient au plaisir de s’inscrire dans le présent. S’attend-elle à plus ? Rachel a été prévenue : Pierre aime sa liberté, il ne veut pas entendre parler de mariage, quoiqu’il veuille bien d’un enfant. Rachel est lucide. Quand Pierre lui demande de le rejoindre à la capitale, elle refuse. Quand elle tombe enceinte, elle rompt sans un mot. Sa fille naît Christine Schwartz.
Après La petite foule (Flammarion, 2014), esquisses de "vies minuscules", Christine Angot renoue avec l’écriture de soi, mais avec un pas de côté, le point de vue de sa mère, Rachel Schwartz. Elle signe ici un formidable portrait. Hommage à celle qui, après l’avoir élevée, dut subir à la reconnaissance de cette dernière par son père la double peine : voir son unique enfant s’éloigner d’elle - le parent moins instruit -, en même temps que la voir bafouée par l’innommable. Sean J. Rose