Ce lundi 19 juin, il n’est que 10 h 30 et la température frôle déjà les 25 degrés dans la salle de réception de l’hôtel Impérial à Annecy. Jean-Luc Coatalem présente son nouveau roman, Mes pas vont ailleurs, à paraître le 23 août dans la collection "Bleue" de Stock. L’auteur a dépassé son temps de parole de dix minutes, mais, porté par son enthousiasme, il enfile ses lunettes et poursuit en lisant un passage de son œuvre. Il se promène sur la scène, sa lecture rythmée par les gestes circulaires de sa main libre. Le parterre de libraires et blogueurs ne perd pas un mot malgré la surchauffe de la pièce. "Il a l’air tellement passionné, il donne envie de lire son livre !" commente à mi-voix Carine Giraud, libraire chez Decitre à Annemasse.
Entourée d’une centaine de professionnels de la région, venus notamment de Lyon et de Grenoble, mais aussi de plusieurs villes suisses, elle prend note des 16 titres qui composent la rentrée littéraire 2017 de Stock. La maison d’édition a choisi cette année Annecy, et non pas Lyon, pour organiser sa traditionnelle présentation aux libraires de la région. "Annecy est au carrefour de plusieurs villes et régions, nous nous sommes dit que sa situation géographique inciterait plus de personnes à venir", explique la directrice commerciale, Charlotte Brossier. Tous les professionnels sont venus à leurs frais, certains ont même dû poser une journée de congé. C’est le cas de Diane Villet, libraire suisse à Fribourg. "Mais je ne le regrette pas, dit-elle. Nous n’avons pas souvent l’occasion de croiser les éditeurs avec les auteurs", déclare-t-elle.
Une logistique lourde
La ville savoyarde est l’avant-dernière étape d’une tournée qui a débuté début juin à Paris pour s’achever à la fin du mois à Aix-en-Provence. Au total, plus de 600 libraires ont été conviés ainsi que des blogueurs, des journalistes, des organisateurs de manifestations littéraires… Une logistique "lourde pour une équipe de 20 personnes, souligne le directeur général de Stock, Manuel Carcassonne. Mais ces présentations sont un incontournable. Elles nous permettent de mettre l’accent sur nos enjeux et sur les lignes principales qui ont régi nos choix pour la rentrée." Le patron de Stock se souvient ainsi des fruits portés par l’accompagnement, l’an dernier, du roman de Luc Lang, Au commencement du septième jour, "un beau livre qui nécessitait une présentation en amont. On a fait venir l’auteur à toutes les réunions, ce qui a favorisé l’appui en librairie et sa présence dans plusieurs sélections de prix littéraires", estime-t-il. Cette année, c’est la collection rose de littérature étrangère, "La cosmopolite", et sa nouvelle directrice, Raphaëlle Liebaert, qui prennent une place particulière. Deux romans sont alignés en cette rentrée, Les huit montagnes de Paolo Cognetti, déjà acclamé par la critique internationale et lauréat du prix Strega, le Goncourt italien, et Les pleureuses de l’Américaine Katie Kitamura.
"C’est un livre vendeur, efficace"
Avec l’aide de Charlotte Brossier et de la directrice éditoriale de la littérature française, Alice d’Andigné, Manuel Carcassonne enchaîne les présentations d’ouvrages en narrant d’abord leur histoire, en égrenant ensuite quelques arguments commerciaux. "C’est un livre vendeur, efficace, qu’on prend et qu’on ne lâche plus", lance-t-il à propos de La petite danseuse de quatorze ans, de Camille Laurens.
L’opération est aussi une course contre la montre : l’équipe de Stock garde à l’esprit l’impatience habituelle des libraires. "Nous avons du mal à rester assis", admet, amusée, Catherine Mugnier, de la librairie L’Imaginaire à Annecy. Aux éditeurs, donc, de calibrer le temps de parole, et aux auteurs d’affiner leur discours. Anne Berest vient de s’essayer pour la première fois à l’écriture à quatre mains avec sa sœur Claire dans Gabriële, un portrait romancé de leur arrière-grand-mère, mariée au peintre Francis Picabia : "Nous articulons nos explications en commençant par l’histoire de Gabriële puis en détaillant dans un deuxième temps les liens familiaux. Mais on peut aussi faire varier l’ordre selon les présentations, ce n’est pas toujours pareil. On sent toutefois que notre discours s’affine", déclare-t-elle.
Au tour de Saphia Azzeddine qui se montre plus timide devant les professionnels pour présenter Sa mère, l’histoire d’une femme née sous X et surdouée, "une tare aujourd’hui qui la rend malheureuse". Les appareils photo se dressent à l’arrivée d’Erik Orsenna qui, arborant son habituelle bonne humeur, "vend" sans difficultés son livre, La Fontaine, une école buissonnière. Simon Liberati, chemise à rayures ouverte sur la poitrine, donne un ton plus intime à ses Rameaux noirs, revenant sur le parcours de son père poète, surréaliste puis communiste, grand ami de Louis Aragon. Puis Evelyne Bloch-Dano présente Une jeunesse de Marcel Proust à travers l’histoire du fameux questionnaire.
Cocktail
Durée totale de la réunion : près de deux heures. Les libraires quittent rapidement leur siège et, avant même de se rendre au cocktail organisé dans le salon adjacent, s’emparent d’un sac avec les ouvrages offerts par l’éditeur. "L’obtention des livres en amont n’est plus automatique", souligne Delphine Dantard, responsable de rayon à la Fnac Grenoble Grand Place, qui déplore l’arrivée d’une cellule d’acheteurs au sein de l’enseigne culturelle. Dans la pièce où se déroule le cocktail, éditeurs, auteurs, libraires et commerciaux échangent leurs impressions, font connaissance. On s’agglutine autour des climatiseurs, fuyant la terrasse ensoleillée. Des libraires se font dédicacer les livres et sollicitent Héloïse Rachet, la responsable des relations libraires et des salons, pour organiser des séances de dédicaces. Au total, douze soirées aux formats divers avec les auteurs en librairie auront pu être programmées jusqu’à la fin de l’année.