11 mai > Roman noir France > Franz Bartelt

Dans le genre "roman noir", auquel le Seuil a décidé d’offrir récemment un cadre éditorial valorisant, cet Hôtel du Grand Cerf est un pur chef-d’œuvre. On n’en attendait pas moins du talentueux graphomane ardennais Franz Bartelt, qui réussit tout ce qu’il touche, avec ce mélange d’humour caustique et d’élégance stylistique qui n’appartient qu’à lui. Mais, pour l’occasion, il s’est montré particulièrement inspiré. Certaines pages de ce roman mériteront d’être lues et étudiées dans les écoles, de police ou non.

Ainsi, vers la fin, qu’on ne dévoilera sûrement pas, quand l’inspecteur Vertigo Kulbertus, un vieux flic près de la retraite, obèse, malchanceux, aux méthodes et à la déontologie plutôt discutables, mais quelle intelligence et quelle ténacité, raconte aux survivants et au(x) coupable(s), qu’il a traqué(s) et confondu(s), toute l’histoire et le mobile des récents crimes remontant évidemment à la dernière guerre. C’est à la fois Hercule Poirot, l’inspecteur Colombo et Noiret dans Les ripoux. Ou encore cette visite à la Mère Dodue, dans son claque de Larcheville - côté français des Ardennes tandis que le Grand Cerf, lui, se situe à Reugny, côté belge -, qui parle exactement comme Madame Mado, la maquerelle des Tontons flingueurs de Lautner et Audiard : "Vous avez le client qui fait l’appoint avec des pièces de vingt centimes [on est en 1999]. C’est des mœurs de voyageurs de commerce, pardon pour eux." Et Bartelt de commenter : "La limonade et la philosophie ont toujours eu des affinités." Un régal.

On l’aura compris, impossible de résumer ce roman à tiroirs, plein de chausse-trapes, dont le déclencheur est le jeune touche-à-tout Nicolas Tèque, envoyé enquêter à Reugny par son patron, Charles Raviotini, lequel veut produire un film sur la mort mystérieuse, à 6 heures du soir le 6 juin 1960, de la star de cinéma Rosa Gulingen dans la baignoire d’une chambre du Grand Cerf où elle était en train de tourner un film avec Armand Grétry, son ex. Entre eux, il y avait de l’eau dans le gaz. Armand aurait-il éliminé Rosa pour échapper à sa jalousie ? Ou sa mort, comme l’a conclu hâtivement la police de l’époque, était-elle accidentelle ?

Tous ces mystères vont d’abord s’épaissir puis provoquer cinq autres meurtres, jusqu’à ce que Nicolas et Vertigo, qui s’aiment bien et picolent ensemble (le policier est un ogre de goinfrerie et d’ivrognerie), démêlent patiemment tous les fils de cet imbroglio infernal, et, parmi tous les protagonistes, trient le bon grain de l’ivraie. Avec brio, et même un peu de sentiment, chacun d’entre eux trouvant au passage sa chacune. Les voies du seigneur sont impénétrables, n’est-ce pas, et "l’avenir ça n’existe pas". C’est la Mère Dodue qui le dit. J.-C. P.

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