Commençons par la forme, primordiale chez Fred Léal. Le romancier et poète, amateur d’expérimentation littéraire, se plaît à animer ses textes dans un grand jeu typographique. Variation de polices et de corps de caractères, décentrage de paragraphes dans la page, phrases et mots tronqués, bribes de conversations et de chansons, mise en scène plastique des coq-à-l’âne du récit… Dans le huitième roman publié chez P.O.L de ce médecin bordelais, on peut ainsi, grâce à un montage très visuel, entendre une voix crier "à table !" au beau milieu d’une lettre, les chants de supporters de rugby parasiter dans un train les pensées d’un voyageur. On peut aussi avoir la sensation physique de marcher sur un sentier, "canette vide écrasée", à gauche (de la page), "piaf occis", à droite. Ou voir un plan de Manhattan (où l’écrivain a écrit ce livre) se superposer à la carte d’un massif frontalier des Pyrénées centrales. Tout cela rend la lecture ludique et stimulante, parfois désorientante. Ça tombe bien, c’est le sujet du Mont perclus de ma solitude : une course en montagne déboussolée. Randonnée à laquelle le narrateur, écrivain, est convié par l’un de ses lecteurs, "adhérent à la Section toulousaine du Club Alpin Français".
Fred Léal retrouve ici le théâtre d’Un trou sous la brèche (P.O.L, 2006), ce coin des Pyrénées - cirque de Gavarnie, Vignemale, brèche de Roland qui a inspiré les frères Larrieu, mont Perdu, refuge de Tuquerouye - que son narrateur connaît comme les poches de son Gore-Tex. Mais à peine l’écrivain randonneur a-t-il accepté cette invitation qui le flatte qu’il regrette déjà sa décision. D’autant que le petit groupe qu’il accompagne ne semble finalement pas aussi bienveillant qu’espéré et que la météo vire d’incertaine à catastrophique. Mais peut-être notre héros noircit-il le tableau, souffre-t-il d’un léger délire de persécution, comme le suggère sa compagne auprès de laquelle il s’épanche régulièrement au téléphone. Au bout de la ligne, l’interlocutrice, fine mouche, raille son goût du décalage - "T’aimes bien ce genre de plan foireux… Je suis sûre que ça t’excite", "tu ASPIRES à la situation farfelue" - et prétend que toute l’aventure n’est vécue que pour finir moulinée en fiction. Des messages laissés sur le répondeur aux appels passés "planqué dans les chiottes" d’un hôtel ou du dernier refuge avant que la communication ne devienne impossible, ces échanges à distance sont parmi les moments les plus drôles de ce livre comiquement déprimé. Véronique Rossignol