Avant-critique Roman

Yasmina Reza, "Récits de certains faits" (Flammarion)

Yasmina Reza - Photo © Pascal Victor/ArtComPress via Leemage

Yasmina Reza, "Récits de certains faits" (Flammarion)

Des souvenirs, des lieux, des êtres, des histoires de justice composent le pêle-mêle somptueux de Récits de certains faits de Yasmina Reza.

Parution 4 septembre

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Par Olivier Mony
Créé le 02.09.2024 à 09h00

À l'arrière de la vie. La vie est une désolation, c'est entendu. Une vallée de larmes, une mauvaise blague qui s'éternise, c'est selon. Du moins n'est-il pas interdit d'en rire autant que de s'en affliger. Rire dans un champ de ruines. C'est à cet exercice qui relève de l'hygiène mentale autant que de la métaphysique que l'on pourrait rattacher peut-être toute l'œuvre de Yasmina Reza. Elle est à coup sûr de la famille des grands ironistes, entre Kafka, Bellow et Bashevis Singer. Théâtre, romans, nouvelles, textes épars, peu importe le flacon.

La voilà de retour avec sa bande d'éclopés de la vie, son humanité, sa tendresse désolée tout de même, pour un infiniment troublant Récits de certains faits. Soit au total cinquante-quatre histoires, souvenirs, évocations, tous écrits de cette écriture blanche, tendant à une forme d'objectivité littéraire (ou perçue comme telle) qui est sa marque de fabrique. Une bonne moitié au moins d'entre eux relève de sa fréquentation ces dernières années des cours de justice, des procès d'assises pour des dossiers le plus souvent criminels (le livre est d'ailleurs dédié aux deux plus grands chroniqueurs judiciaires de notre époque, Pascale Robert-Diard et Stéphane Durand-Souffland). Passent sous nos yeux comme réinventées par le regard à la fois froid et empathique de Reza, quelques-unes des plus célèbres affaires, de toute nature, de ce temps : Jean-Marc Morandini, Cyril Berger, Tariq Ramadan, Bygmalion, Fabienne Kabou, Jonathann Daval... D'autres aussi mais dont l'écho médiatique fut moins important. Les lecteurs familiers de Yasmina Reza ne seront pas surpris de voir combien ces lieux − le prétoire comme une scène, les dispositifs narratifs et de mise en scène qu'ils engendrent − se prêtent au talent d'observation de l'écrivaine, à son goût pour les petits théâtres de la cruauté. Mais Récits de certains faits, c'est aussi tout autre chose, où s'exprime peut-être plus intensément encore la mélancolie, les exils intérieurs de son autrice. Un pêle-mêle sous le signe de la mémoire. Lorsqu'elle quitte les palais de justice, Yasmina Reza revient à elle-même : les souvenirs, les œuvres, les lieux, les êtres aimés. Ces chapitres sont souvent plus courts, mais non moins justes. Il y a Venise, bien sûr, et puis les amis décédés, Milan Kundera, Imre Kertész, Roberto Calasso, Bruno Ganz, Luc Bondy... Il y a également le discours d'un fils à la mort de son père, une collection oubliée d'albums de L'année automobile, une ancienne professeure de lycée, un SDF dans son quartier, les photos de Diane Arbus, et tant d'autres jolies et tristes choses. Yasmina Reza entend tout, voit ce qu'on ne sait pas voir, d'un rien elle fait sa pelote. Il y a là l'évidence d'une écriture qui licencie le mensonge romantique au profit de l'inquiétude et du doute. Son beau souci demeure, dire moins le monde que ceux qui ne parviennent pas à l'habiter.

Yasmina Reza
Récits de certains faits
Flammarion
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 20 € ; 237 p.
ISBN: 9782080457646

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