Sous la pellicule des grands principes, la cour de récré n’est jamais loin. C’est ce que l’incontinence twittosphérique de la Ligue du LOL nous a permis de vérifier. Une incontinence à connotations sexistes, voire racistes, d’autant plus frappante qu’elle provenait de personnes appartenant aux médias les plus en vue de la pensée « critique » comme Les Inrockuptibles ou le journal Libération. En même temps, c’est bien ce dernier qui a soulevé le lièvre et mis provisoirement à l’écart ses brebis possiblement galeuses, mettant ainsi en acte ses propres valeurs et sa distance critique.
Les leçons que nous pouvons en tirer sont significatives du moment de maturation (malgré des apparences contraires) que nous vivons dans le domaine de l’information.
Bipolaire
Il est clair que l’ouverture des réseaux numériques libère la « parole » pour le meilleur et pour le pire. Les frontières se brouillent entre les pensées ou les propos privés, souvent passionnels et sans traces, et une expression publique, autocontrôlée, fixée.
Les gens du livre et de l’écrit que nous sommes ont bâti leurs valeurs sur cette séparation : d’un côté la liberté privée d’avoir ou d’expérimenter les pensées les plus contradictoires, les plus fluctuantes, de l'autre la liberté publique d’affirmer par publications interposées les idées que nous retenons comme vraiment nôtres et que nous souhaitons assumer, quitte à tomber sous le coup de la critique voire même de la loi (qu’elle soit autoritaire ou démocratique).
Cette séparation a toujours été, cependant, bien relative : publier un libelle sous pseudonyme à l’époque des Lumières était déjà courant, ou profiter de l’atmosphère électrique des salons pour y répandre la calomnie. Mais, aujourd’hui, du fait de la démocratisation et des nouveaux outils d’information, les libertés intellectuelles de l’élite se popularisent et la société devient dans son ensemble un immense salon où le mimétisme et l’envie, mais aussi l’échange et la critique se donnent libre cours. Faut-il s’en inquiéter ? Non, si la tradition critique issue de la culture de l’écrit apprend à se porter sans nostalgie à la hauteur des nouveaux enjeux et s’adapte à l’âge du numérique, comme le fait le journal Libération en réagissant à ses propres cyber-dérapages.
Le remède pire que le mal
Certes, le champ de l’expression collective donne l’impression de ressembler de plus en plus à une foire d’empoigne. Mais les moyens d’en tirer parti positivement progressent au moins aussi vite. Au total, nous vivons un moment d’approfondissement collectif de ce qui avait fini par n’être vécu que comme des évidences alors qu’il eût fallu en creuser davantage les ressorts. C’est le cas de la démocratie, de la justice, du vivre ensemble et de bien d’autres principes qui se trouvent aujourd’hui soumis à un réexamen salutaire car bien plus largement partagé qu’à l’époque où il restait l’apanage de quelques spécialistes.
On ne doit pas, bien sûr, sous-estimer les dangers du « tout est permis » et de ses effets de meutes. Mais, faut-il pour autant légiférer contre l’anonymat des tweets ou contre la possibilité même de toute expression « déviante » alors que la loi dispose déjà de moyens d’investigation et de rétorsion très efficaces lorsque les bornes sont dépassées ?
La tentation est grande d’empêcher les gens de s’exprimer avant même qu’ils y aient pensé et de tomber dans une sorte d’hygiénisme mental radicalement contraire à l’esprit des livres. Le remède serait pire que le mal et conduirait à des retours de bâton dans le réel dont l’Histoire nous a donné tant d’exemples. N’oublions pas que les principes auxquels nous tenons sont nés dans le sang (pensons aux Guerres de religions) ! Réjouissons-nous que leur mise à jour semble prendre aujourd’hui d’autres voies.