Compositeur exigeant, chef invité par les plus grands orchestres, pédagogue recherché, théoricien de la modernité, bâtisseur d'institutions: le legs à la postérité de Pierre Boulez, décédé mardi 5 janvier à 90 ans, est immense.
Depuis les années 1950, il s'était imposé comme le plus grand compositeur-chef d'orchestre de son temps, approfondissant le lien entre création et interprétation et déployant une influence sans égale sur la vie musicale, culturelle et intellectuelle, en France et bien au-delà.
Né le 26 mars 1925 à Montbrison (Loire), Pierre Boulez a suivi au Conservatoire de Paris l'enseignement d'Olivier Messiaen, qui influencera ses premières œuvres. Initié par René Leibowitz à la technique dodécaphonique (composition sur les douze sons de la gamme), ce féru de mathématiques s'impose rapidement comme l'une des figures de l'avant-garde musicale avec ses contemporains Stockhausen, Berio, Ligeti et Nono.
En livres
Il a écrit ou participé à une dizaine d'ouvrages tout au long de sa carrière, dont le dernier, Entretiens de Pierre Boulez avec Gérard Akoka est paru chez Minerve en mai dernier. En 2014, Odile Jacob avait publié une autre série d'entretiens, avec Jean-Pierre Changeux et Philippe Manoury, Les neurones enchantés: le cerveau et la musique. Chez Christian Bourgois sont parus plusieurs livres: Points de repère (leçons de musique en trois tomes), L'écriture du geste: entretiens avec Cécile Gilly, Jalons (pour une décennie): dix ans d'enseignement au Collège de France et Correspondance, où il dialoguait avec un autre immense compositeur, John Cage.
Gallimard a également édité quelques ouvrages autour du musicien, notamment Le pays fertile: Paul Klee, qui fait le lien entre musique et peinture, le catalogue et beau livre Pierre Boulez: œuvre-fragment (à l'occasion d'une exposition au Louvre en 2008-2009) ou encore Penser la musique aujourd'hui (dans la collection "Tel"), son premier livre. Sa riche bibliographie comprend également une préface de Pour donner voir de Robert Bordaz (Cercle d'art), une œuvre collective, Six musiciens en quête d'auteur (Pro musica), Correspondance entre Pierre Boulez et l'ethnomusicologue André Schaeffner (Fayard), Eclats 2002, entretiens avec Claude Samuel (Mémoire du livre) ou encore Pli selon Pli (Contrechamps), consacré à sa relation avec Stéphane Mallarmé. Enfin, signalons le catalogue Pierre Boulez, sorti en mars dernier chez Actes Sud, à l'occasion de l'exposition à la Cité de la musique à Paris.
En musique
Son œuvre musicale comprend une trentaine de compositions, dont Le Marteau sans maître (1955), d'un grand raffinement instrumental et vocal, et Répons (1981-1988), qui magnifie les possibilités de transformation du son, en temps réel, par l'électronique. Il a introduit le "hasard dirigé" dans certaines de ses œuvres et fait de plusieurs partitions des "work in progress" (œuvres en devenir) modifiables. Sans doute difficile d'accès par sa complexité, sa musique n'en reste pas moins riche et contrastée, notamment dans l'usage de la couleur et du rythme. Boulez a développé une musique héritée du sérialisme (construction en séries) de la Seconde école de Vienne (Schonberg et Webern notamment), remarquablement écrite et parcimonieuse.
Le compositeur, parfois considéré comme le grand prêtre d'une chapelle "post-sérielle" sectaire, a cependant moins fait l'unanimité que le chef d'orchestre, qui a approfondi 150 ans d'histoire musicale (de Wagner et Mahler aux contemporains). Convoité par les plus grands ensembles symphoniques, en Europe (Berlin, Vienne, Londres) comme aux Etats-Unis (Chicago, Cleveland), il a aussi développé une belle activité lyrique. Avec le metteur en scène Patrice Chéreau, il a signé à la fin des années 1970 un mythique Ring de Wagner à Bayreuth et une célèbre Lulu de Berg à Paris.
En militant
En 1976, après près de deux décennies à l'étranger - considérant que la politique culturelle d'André Malraux n'était pas assez portée sur la création il avait préféré s'exiler -, il crée l'Ensemble intercontemporain, première formation permanente dédiée à la musique de notre temps, ainsi qu'un laboratoire entre art et technologie baptisé Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique). Premier musicien nommé au Collège de France (1976-1995), ce penseur pointu mais sachant parler de son art avec clarté aura été de tous les grands projets musicaux français, inaugurant la Cité de la musique en 1995 et militant pour la construction, à l'aube du siècle suivant, de la Philharmonie de Paris, finalement inaugurée sans lui, alors qu'il est déjà malade.
Avec l'âge, ce petit homme au regard brillant d'intelligence, très courtois et facile d'accès, avait sans doute assoupli son caractère, sans renoncer à une éthique sans compromis.