Depuis le tout début, Jean Teulé est publié chez Julliard. Un exemple rare de fidélité à un éditeur. Repéré au début des années 1990 par Elisabeth Gilles - qui dirigeait Julliard avec Christian Bourgois et lui avait dit : "Vous êtes un écrivain qui ne le savez pas§", alors qu’il était encore journaliste à la télé -, Jean Teulé signe son premier roman en 1991, Rainbow pour Rimbaud. Suit, en 1992, L’œil de Pâques. Les ventes sont modestes, 3 000 exemplaires environ, comme celles du troisième, Balade pour un père oublié, "le premier qu’on a fait ensemble", dit Betty Mialet. Pour qu’il devienne "l’un des auteurs emblématiques de la maison", ce qu’il est aujourd’hui, il aura fallu à ses éditeurs une certaine tenacité… qui correspond bien à leur conception de l’édition. Betty Mialet la discrète, qui se présente comme "une ex-soixante-huitarde déchaînée", a fait ses débuts dans l’édition en 1975, chez Stock 2, où elle publie plutôt des documents engagés, dans l’air du temps. Lorsque Bernard Barrault devient directeur général de Stock, en 1981, nommé par Bernard Fixot, "que je ne connaissais pas, mais qui incarnait à l’époque tout ce que je détestais !", ça ne se passe pas sans heurt. Et elle prend le large. Pour revenir, en 1983, lors de la création des éditions Bernard Barrault, dont elle est l’une des âmes. Après quoi, en 1995, Bernard et Betty deviennent codirecteurs de Julliard. Avec, en grande partie, les mêmes écrivains, le même éclectisme et la même façon de travailler. Une constance et une fidélité récompensées, puisque plusieurs de leurs auteurs sont de gros best-sellers, comme Yasmina Khadra, Jean Teulé ou Jean-Marie Gourio.
Noyau dur.
"C’est aux éditions Bernard Barrault que nous avons publié des auteurs qui font encore partie du "noyau dur" de Julliard", explique-t-elle : Jean-Marie Gourio, Lionel Duroy, Jacques A. Bertrand… Il y avait aussi un certain Philippe Djian, parti en 1991 pour Gallimard. L’éditrice l’a mal vécu, d’autant que dans 37°2 le matin, un personnage se prénommait Betty !La négociation des droits avec le cinéma et l’audiovisuel en général, c’était l’un des points forts de la jeune maison, et ça l’est resté pour Julliard (1) : "§Nous sommes une petite maison appuyée sur une énorme, Robert Laffont, explique Betty Mialet. Nous publions peu de titres, entre 15 et 20 par an, en privilégiant nos auteurs de toujours : Yasmina Khadra, Philippe Besson, Jean Teulé, Lionel Duroy, Jean-Marie Gourio, Fouad Laroui, Annie Saumont… Ce qui nous laisse un peu de place pour de nouveaux talents. Chez Julliard, un auteur n’aura jamais le Goncourt. Nous ne savons pas faire. En revanche, pour les droits dérivés, audiovisuel, poches, traductions, nous sommes bien placés."
Traduit dans vingt pays.
En 1998, Darling change la donne. C’est un double pari : pour Teulé, qui a quitté Canal+ pour écrire l’histoire extravagante de sa cousine, femme battue ; et pour Betty Mialet et Bernard Barrault, qui lui donnent les moyens de vivre. Le pari est réussi : le livre se vend à 40 000 exemplaires en grand format (il en est aujourd’hui à 85 000 chez Pocket). Il sera adapté au cinéma en 2007, et joué au off d’Avignon l’été prochain. C’est grâce à ce roman, aussi, que l’écrivain a rencontré Miou-Miou, la femme de sa vie…Après Bord cadre (1999), Longues peines (2001) et Les lois de la gravité (2003), qui "§retombent à 15 000 exemplaires", Teulé, passionné de poésie depuis toujours, enchaîne O Verlaine ! (2004) et Je, François Villon (2006), qui renouent avec le succès de Darling. Ensuite, premier décollage avec Le magasin des suicides (2007), qui se vend à 70 000 exemplaires en grand format - et en est à plus de 370 000 en Pocket -, avant l’apothéose du Montespan, en 2008 : 260 000 exemplaires chez Julliard, 380 000 en Pocket, 35 000 chez France Loisirs et GLM.
A partir de là, Jean Teulé devient l’un des romanciers français les plus gros vendeurs, mais aussi un auteur culte, avec effet rétroactif sur son "back catalogue", comme on dit dans la musique. Après Le Montespan, Mangez-le si vous voulez, peut-être son livre le plus rude, paru en 2009, se vend à 125 000 exemplaires (près de 100 000 en Pocket), et Charly 9, plus loufoque, s’est vendu à 210 000 en grand format depuis 2011.
Fleur de tonnerre bénéficie d’un premier tirage de 100 000 exemplaires. "Et n’oublions pas, ajoute Betty Mialet, que les livres de Jean sont traduits dans vingt pays !"
(1) En plus de Julliard, Bernard Barrault et Betty Mialet sont responsables des droits audiovisuels pour tout le groupe Laffont-Seghers-Nil-Julliard.