Sa rencontre avec Lawrence Durrell en 1976 alors qu'elle était étudiante avait inspiré quarante ans plus tard à Béatrice Commengé Une vie de paysage (Verdier, 2016) tournant autour de cette phrase de l'écrivain anglais « nous sommes les enfants de notre paysage ». Il aura fallu du temps et des détours à celle qui, en 2012, à la sortie de Flâneries anachroniques (Finitude), évoquait dans ces colonnes son désir de retourner dans son propre paysage d'enfance et d'écrire sur Alger où elle a vécu ses douze premières années, les dernières de l'Algérie française. La voilà donc enfin revenue sur les hauteurs de la Ville blanche, au rez-de-chaussée de la villa Marie-Rose, 10, rue des Bananiers. Ses escaliers, le petit jardin avec son oranger, son néflier et un figuier du haut duquel on pouvait apercevoir la mer : « sa » rue. Mais dans ce bref récit essentiel, Béatrice Commengé trame à la fois souvenirs personnels, enquête généalogique et grande Histoire, parcourant à travers le destin de sa famille, cent trente-deux ans de conquête et de colonie. L'écrivaine part sur les traces très fragmentaires de Jeanne, née en 1830, arrivée de Haute-Garonne à 30 ans, installée dans une « colonie agricole » sur la commune de Cherchell, mère d'Hortense (née en 1866), elle-même mère d'Alexandrine, la grand-mère maternelle de Béatrice Commengé, et piste ses deux grands-pères - le paternel posant le pied sur le sol algérien en 1905 et le maternel en 1912. Elle agence les bribes de ces vies attachées à cette « autre France » dans laquelle ses parents, Louis, instituteur puis professeur de lettres classiques, et Eugénie, ont coulé des jours heureux, enfants à Ménerville à 50 km à l'est d'Alger. C'était avant Toussaint rouge, ce 1er novembre 1954 qui marque le début d'une guerre qui ne dit pas son nom. Et qui n'arrive pas jusqu'à la rue des Bananiers. Car loin des « événements » et de ses morts, grandir là, c'est être tout à « la joie des jours ». « Je n'ai rien vu », dit Béatrice Commengé. Mais elle reconstitue, questionne et, au besoin, invente. La dernière traversée en juillet 1961 signe le départ définitif du paradis devenu enfer. D'Alger au sud-ouest de la Métropole, « le décor cessa d'être bleu et blanc pour devenir vert et or ». À 12 ans, Béatrice Commengé pensait que c'était sans regret qu'elle quittait cet autre ciel, ce premier paysage...
Alger, rue des bananiers
VERDIER
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 14 € ; 128 pages
ISBN: 9782378560836