La grotte Chauvet-Pont d'Arc est désormais classée au Patrimoine mondial de l’Humanité. Cela ne devrait pas freiner la fièvre processive qui a contaminé nombre de protagonistes depuis sa découverte, en 1994.
Ce sont d‘abord les propriétaires du terrain qui ont saisi la justice après avoir été expropriés par l’administration contre une indemnité initiale de 31 730 francs… Celle-ci concerne la valeur du seul terrain et fait donc abstraction de l’existence de la grotte ainsi que de son considérable intérêt scientifique, comme de son exploitation sous forme de livres, documentaires et autres répliques à l’échelle 1/1.
Des années de recours et de procédures – comprenant notamment les interventions successives de la Cour d’appel de Toulouse, de la Cour de cassation et de la Cour d’appel de Lyon - ont conduit les juges de la Cour européenne des Droits de l’Homme à rejeter toutes leurs prétentions, le 24 octobre 2011.
Les magistrats de Toulouse avaient pourtant donné un temps espoir et gain de cause aux expropriés « qui auraient pu personnellement faire ce que fait actuellement l’Etat, c’est-à-dire commercialiser les images prises dans leur propriété. Ils auraient pu, toujours à leur seul profit (sous réserve des droits des inventeurs), faire réaliser des films de reportage, les vendre, créer dans un endroit constructible de la commune un musée, où ces reportages auraient été diffusés auprès d’un public payant. En outre ces visiteurs auraient pu acquérir dans un espace boutique (d’ailleurs inclus dans le projet du département) les produits culturels dérivés, tels que les cartes postales, livres, souvenirs, vidéos, objets reproduisant les œuvres d’art, ou même vêtements portant des reproductions, le tout moyennant des redevances substantielles pour les propriétaires ».
La jurisprudence Chauvet souligne que les importantes questions de propriété intellectuelle et de droit à l’image qui compliquent le régime juridique des découvertes archéologiques.
En réalité, les difficultés ne viennent pas vraiment du droit d’auteur. Les artistes sont a priori anonymes, mais surtout bel et bien dans le domaine public. Certes, le droit moral est perpétuel, et il faudrait en théorie recueillir le consentement des héritiers pour toute divulgation de paroi inédite. Mais en pratique, aucun conservateur de site n’a à ce jour rencontré d’ayants droits patentés de Lascaux.
En revanche, les œuvres qui peuvent figurer sur les murs des grottes sont soumises au droit du propriétaire des lieux. Il s’agit là encore d’une application du droit à l’image des biens, c’est-à-dire d’un droit de propriétaire. Et ce même si les procès en droit à l’image sont considérés, par certains commentateurs hâtifs, comme en perte de vitesse dans les prétoires.
En l’occurrence, ce droit du propriétaire est inscrit depuis belle lurette dans le Code civil, qui dispose notamment en son article 552 : « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. Le propriétaire (…) peut faire au-dessous toutes les constructions et fouilles qu’il jugera à propos, et tirer de ces fouilles tous les produits qu’elles peuvent fournir ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 716 du même code, « le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard ». Et la loi de préciser que « la propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds ».
Ce régime juridique est nuancé par la loi du 27 septembre 1941 sur les fouilles archéologiques, qui prévoit, par exemple, des modalités particulières de partage des indemnisations entre le propriétaire des lieux et « l’inventeur » du trésor. La loi de 1941 a été modifiée par celle du 17 janvier 2001 sur l’archéologie dite préventive. Mais ni le ministère de la Culture, ni le législateur n’ont envisagé de mettre fin à ces droits privatifs.
Dernière péripétie judiciaire en date : les « inventeurs » de la Grotte – c’est-à-dire ceux qui l’avaient découverte – avaient agi en justice après que la ministère de la Culture avait autorisé Werner Herzog a filmer les lieux (pour son documentaire La grotte des rêves perdus).
Ils s’appuyaient de façon audacieuse sur les dispositions du Code de la propriété intellectuelle qui octroyent un monopole d’exploitation d’une durée de vingt-cinq ans les propriétaires matériels lorsqu’il dévoilent publiquement une œuvre posthume. Le jugement rendu le 30 janvier 2014 les a à leur tour mis en déroute. La justice des hommes ne croit guère aux grottes miraculeuses.