Quelques semaines après Montreuil où les auteurs se sont affichés déplumés, en marge du Festival de bande dessinée d’Angoulême.
400 auteurs de bande dessinée s’avouaient épuisés par leurs conditions de travail, rappelant que 36% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté et qu’ils ne cessent de voir leurs droits d’auteur baisser. Relayé par
Libération, ce texte souligne le mal-être des dessinateurs mais aussi plus largement de nombreux professionnels de l’écriture, à bout de nerf.
Sur les réseaux sociaux, début mars, le mot-dièse #payetonauteur, initié par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et le SNAC BD, se répand comme une trainée de poudre et devient le cri de ralliement des écrivains qui manifestent leur ras-le-bol de la précarité, qui trouve un écho lors
d’un échange tendu entre la SGDL et les organisateurs du salon Livres Paris, critiqués pour la non rémunération des auteurs invités à intervenir sur ses différentes scènes.
L’organisation fera son mea culpa quelques jours plus tard.
La machine lancée, les auteurs commencent à faire valoir leurs revendications et
demandent à être traités dignement lors des premiers Etats généraux du livre en mai. Le mois suivant, 42 auteurs dont Pénélope Bagieu ou Guillaume Musso
interpellent énergiquement le gouvernement sur leur statut social dans une tribune publiée dans le
Parisien.
"Peut-on lui demander d’éternuer moins ?"
Le dessinateur Joann Sfar, particulièrement impliqué dans la campagne, revient à la charge sur France Inter quelques semaines plus tard en expliquant que
"l'histoire se rappellera que c'est une ministre éditrice qui a massacré les écrivains". Dont acte. A la mi-juillet,
des auteurs enterrent symboliquement le livre de demain au Palais Royal avec pour slogan "
sans auteurs, pas de livres".
Afin de donner corps au mouvement naissant, les hommes et femmes de lettres
se fédèrent dès septembre dans une Ligue des auteurs professionnels, avec l’objectif de devenir un interlocuteur des pouvoirs publics et
de réfléchir à la condition des auteurs. Elle ne tarde d’ailleurs pas à communiquer ses premières conclusions,
pour le moins alarmantes. Auteurs au SMIC, voire moins, statut juridique à préciser, mauvaise répartition de la valeur dans la chaine de production du livre… La Ligue jette un pavé dans la mare, éclaboussant au passage les éditeurs, qui répliquent en partie.
Sur France Inter, Héloïse d’Ormesson, présidente de la maison qui porte son nom, juge en octobre que
"les éditeurs et les auteurs, c’est le même combat, ils s’enrhument, on éternue". La Ligue, sur l’offensive, ajuste et riposte aussitôt dans un communiqué,
illustré d’un dessin ironique de Joan Sfar : "
Peut-on lui demander d’éternuer moins ?" L’échange reste courtois, mais témoigne de l’incompréhension, voire parfois du désamour, entre certains auteurs et leurs éditeurs.
Dans un registre plus optimiste, quoique teinté d’ironie, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse
a tenté d’imaginer l’avenir radieux des auteurs et du secteur du livre dans une série de vidéos, pour mieux dénoncer la précarité de la situation actuelle. Ce fut d’ailleurs l’objet du débat qu’elle organisait au Salon du livre de Montreuil autour de la question
"Auteurs, un métier sans futur ?"
Cette perspective angoissante, sans cesse crédibilisée par
les inquiétants témoignage d’écrivains, ne semble pourtant pas faire sombrer les auteurs dans le défaitisme : la Société des gens de lettre, première et plus veille association de défense des intérêts des auteurs,
a enregistré un nombre record d’adhésions en 2018.
De nombreux chantiers institutionnels
En 2018, la colère des auteurs s’est télescopée avec
une série de réformes de premier plan touchant à leur statut, provoquant parfois des débats mouvementés. Les auteurs sont pris à la fois dans des modifications de régimes qui leur sont propres (retraite de base et complémentaire), et sont concernés par des réformes générales (fiscalité, retraites, formation) qui font éclater les contradictions de leur statut, entre salariat et indépendance.
Les discussions entre le ministère de la Culture et les auteurs
se sont intensifiées en août à la suite du mouvement
#payetonauteur. Le plus gros chantier concerne
l’avenir de l’Agessa, qui verra sa forme et ses fonctions actuelles changées au 1er janvier 2019 conformément aux dispositions prévues dans la loi de financement de la sécurité sociale 2018.
Des négociations ont eu lieu jusqu’en fin d’année
pour définir les contours du décret d’application, finalement publié en décembre. Celui-ci ordonne au 1er janvier le prélèvement des cotisations retraites au premier euro sur tous les revenus de droit d’auteur et transfère cette mission de perception de l’Agessa à la caisse Ursaff du Limousin.
Les artistes-auteurs ont par ailleurs tenu tout au long de l’année
à rappeler leur attachement à certains pans du dispositif de cotisation actuel et à sensibiliser le gouvernement à leur statut particulier, alors que la future réforme générale des retraites devrait venir un peu plus chambouler leur système de cotisation. Afin de répondre à ces inquiétudes, le ministre de la Culture Franck Riester a proposé le 18 décembre
la création d’un groupe de travail sur le statut des auteurs réunissant les principaux acteurs associatifs, dont la Ligue.
Autre sujet de discorde entre les auteurs et les pouvoirs publics, le mécanisme de compensation de la hausse de CSG prévu par le gouvernement a été maintes fois critiqué par la SGDL, la Charte et la Ligue, qui ont dénoncé
un "dispositif incomplet". Entièrement pris en charge par le ministère de la Culture en 2018, la hausse de CSG instaurée par Emmanuel Macron doit être compensée par un nouveau dispositif dès l’année prochaine. La somme nécessaire à son remboursement a toutefois été inscrite dans les crédits du ministère pour 2019.
Enfin, à la suite d’une décision du conseil d’Etat,
les directeurs de collection ont vu leur régime social rétabli. En 2017 l’Agessa avait supprimé leur filiation au régime social des artistes-auteurs
avec l’assentiment du gouvernement. Une décision suspendue par la plus haute juridiction administrative après que le Syndicat national de l’édition ait déposé un recours en référé suspension en septembre,
en attendant de statuer sur le fond.