Pourquoi faudrait-il, lorsque l’on n’a plus rien à perdre pour avoir déjà tout perdu, que la colère soit mauvaise conseillère? En fait, peu importe, l’heure n’est déjà plus aux conseils. Elle est, pour paraphraser Céline, au "plus grand chagrin possible avant de mourir". C’est quelque chose de cet ordre que vit - si tant est que la vie ait encore pour lui quelque signification - Alain. Il a perdu son boulot, sa femme, l’amour de ses enfants, en même temps que sa jeunesse s’est enfuie avec les emplois de sa région d’adoption (quelque part vers le sud…). Alors perdu pour perdu, autant faire une belle fin et proposer à ceux qu’il perçoit comme responsables de sa chute de l’y accompagner.
Tour à tour, il va kidnapper le cadre sup qui a harcelé sa femme, l’élu responsable de la délocalisation de la principale usine du pays et la psychologue qui a prétendu "émanciper" de la tutelle conjugale et masculine son ex-épouse. Les trois s’apprêtent à passer plus qu’un sale quart d’heure, et une très mauvaise nuit. La dernière, sans doute. A moins. A moins qu’il ne soit plus difficile qu’espéré de quitter cette satanée vallée de larmes.
Avec VNR (comprendre "énervé", bien sûr), son quinzième livre depuis l’inaugural Fuck (Grasset, 1991), récit implacablement enragé d’un homme qui tombe, Laurent Chalumeau se rapproche encore un peu plus de ses maîtres. Son Alain est allé puiser son désespoir chez Goodis, et lui, Chalumeau, sa scansion narrative chez Céline. A l’arrivée, un roman social noir et désespérément tendre.
O. M.