"Il y a dans nos parcours à nous autres humains, ici ou là, des sortes de manques, de vides, de blancs, de Hiatus Capitaux…", écrit Michel Manière. Dans le cas de son héros, il s’agit d’un deuil impossible, celui de sa petite Lucie, morte à 10 ans d’une "affreuse maladie". S’ensuit une période ténébreuse, au cours de laquelle le moindre élément du quotidien lui rappelle son chagrin. Comment "refaire son trou" sans sombrer dans le tunnel ? En faisant un bonhomme de neige ou en s’accrochant à un stylo. Tel un gouvernail, ce journal intime redonne une voix à ce père devenu mutique après la disparition de sa fille.
C’est "comme si la vie et l’écrit, en se tissant ensemble, formaient le texte véritable, le seul qui m’importe". Des mots qui entrent en résonance avec le travail de Manière, auteur de récits autobiographiques ou de "romans troublés", comme Le sexe d’un ange (Flammarion, 1976), A ceux qui l’ont aimé (P.O.L, 1992) ou Une femme distraite (Grasset, 2005). La perte est une fois de plus présente dans cette exploration de l’absence.
Inconsolable, Simon harponne la page blanche, à l’instar d’un noyé entraîné vers la solitude et l’indicible. "L’angoisse a trouvé où se fixer." Elle transparaît sans trémolos entre ces lignes épurées. Plusieurs êtres s’invitent dans cet univers, mais une figure domine : Geneviève, la mère de Lucie. "Tout changea", y compris le couple qu’elle formait avec Simon. Parviendra-t-il à lui écrire une lettre pour saisir leur déchirement ? "La paix, le bonheur" leur sont-ils encore accessibles ? Un roman qui raconte comment retisser les fils de la vie. Kerenn Elkaïm